NOTRE PETIT MONDE VA CAHIN-CAHA, par François Leclerc

Billet invité

Depuis hier, les ministres des finances européens, la présidence du Parlement européen, le chef de file de l’Eurogroupe, la BCE et les autorités de Bruxelles se sont tous félicités du compromis de dernière minute auxquels ils sont parvenus à propos de l’Union bancaire, en vue de son adoption avant la fin de la mandature du Parlement. Qu’en penser ? Pour ne pas se perdre dans les détails et aller à l’essentiel, le filet de sécurité financé par les banques prévu en cas de bobo bancaire ne représentera que 55 milliards d’euros dans huit ans, ce qui ne pèsera pas lourd en cas de besoin. Afin d’aller au-delà, il faudra faire appel au marché, on ne sait ni comment ni surtout à quelles conditions dans un tel contexte de crise. Le flou reste total, la menace n’est pas écartée.

Dans la coulisse, une bataille de chiffonniers est en cours afin de déterminer les cotisations des banques au fonds de résolution. Grosses contributrices a priori, les banques allemandes et françaises cherchant à en diminuer le montant. La Fédération bancaire française (FBF) est montée au créneau, proposant que « les modalités de calcul soient fondées sur le risque » (sans préciser dans quelles conditions et par qui il sera déterminé), afin « d’éviter des transferts de charges indus entre secteurs bancaires européens et les risques de distorsion de concurrence que cela pourrait entraîner »… La FBF demande également que le montant de la taxe systémique déjà adoptée soit affectée au fonds, en déduction de la nouvelle cotisation des banques françaises.

Autre succès européen revendiqué au premier jour du sommet des chefs d’État et de gouvernement, le Luxembourg et l’Autriche ont débloqué dans son principe l’adoption d’un texte datant de 2008 et resté depuis en souffrance, qui doit permettre d’étendre l’échange automatique d’informations fiscales aux versements effectués par des trusts ou des fondations. Il restera à adopter un autre texte qui prévoit l’échange automatique d’informations sur les revenus professionnels, de bien d’immobiliers et de certains produits d’assurance-vie. Au terme de l’adoption de ces textes, le filet incontestablement sera resserré, mais il suffira de trouver d’autres refuges fiscaux (comme les îles Anglo-Normandes, qui ne font pas partie du Royaume-Uni) et d’utiliser une ingénierie financière plus sophistiquée pour échapper à l’impôt, une peccadille pour les gestionnaires des grandes fortunes et autres Family Offices.

Côté banques, il va falloir attendre octobre prochain pour connaître le résultat de l’examen des bilans bancaires par la BCE. Dès à présent, les regards se tournent vers les banques des pays ayant bénéficié d’un plan de sauvetage, ainsi que vers les banques italiennes, mais le sort réservé aux quatre Landesbanken allemandes (les banques de développement régionales) dont les bilans vont être examinés sera un test tout aussi significatif du sérieux avec lequel la BCE l’aura mené. Celles-ci détiennent de grosses quantités d’actifs à risque ou ont enregistré d’énormes pertes sur le marchés américain des subprimes, auxquelles leurs actionnaires – les États et les Caisses d’Épargne (Sparkassen) – ont dû pourvoir. Un démantèlement des banques les plus mal en point et une restructuration du secteur seront-ils évités ? Déjà too big to fail et sous le coup de nombreuses condamnations et enquêtes, la Deutsche Bank a dans cette perspective déjà manifesté son appétit.

En raison de la législation sur l’accès aux informations publiques, le ministère des finances irlandais a levé le voile sur le démarrage du sauvetage des banques irlandaises, qui a coûté aux contribuables 64 milliards d’euros à ce jour, dont une large partie a servi à rembourser les banques européennes créancières. Il éclaire la sous-estimation flagrante de l’évaluation du montant du renflouement de Merrill Lynch en 2008, qui était la banque conseil du gouvernement. Elle avait estimé à 16,4 milliards d’euros le coût du sauvetage de Anglo Irish Bank et Allied Irish Bank, le gouvernement ayant accordé sa garantie au prétexte que cela serait « le sauvetage le moins cher jamais rencontré ». On ne sait jamais de quoi on parle quand on cherche à estimer les pertes des banques, vu l’impossibilité d’estimer le risque de leurs actifs.

Anticipation est un des maître-mots de la finance ; les investisseurs tentent d’en faire preuve pour agir à bon escient, et les banques centrales ont désormais adopté une stratégie qu’elles qualifient de « guidage anticipé » (forward guidance) afin de les aider en leur garantissant la poursuite de leurs mesures de soutien. Mais la Fed a tout au contraire créé la confusion cette semaine, brouillant les pistes en abandonnant le taux du chômage comme critère de relèvement de ses taux pour lui substituer un très vague état de l’économie. Comme si elle-même n’était pas en mesure d’anticiper dans une situation que sa présidente, Janet Yellen, a reconnue comme étant « très compliquée ». Comment, dans ces conditions, croire aux estimations d’une autre banque centrale, la BCE, qui fonde son inertie sur d’hypothétiques « anticipations d’inflation » ? Ainsi que le rappelle Michel Aglietta, elles étaient très trompeuses avant l’entrée du Japon en déflation en 1998 : « ce sont des croyances collectives que la Banque centrale espère autovalidées ».

Parlant d’estimation, un audit interne du FMI publié mardi dernier considère que ses prévisions de croissance des pays ayant bénéficié d’un plan de sauvetage ont tendance à être « trop optimistes ». Si l’on commence à revenir sur les prévisions des uns et des autres, on n’a pas fini !