QUAND LE TOUT DERNIER RESSORT N’AMORTIRA PLUS LE CHOC, par François Leclerc

Billet invité

Les économistes utilisent l’expression « en dernier ressort » en référence aux banques centrales, prêteurs des banques commerciales quand celles-ci ne parviennent plus à se financer sur les marchés et menacent de s’écrouler. Ces dernières années, on a vu que ce n’était pas un vain mot. Mais, par extension, une nouvelle expression est depuis apparue : les consommateurs de dernier ressort. Celle-ci accorde cette même capacité aux consommateurs qui tirent la croissance économique.

Traditionnellement, les Américains jouaient le rôle de consommateurs en dernier ressort, la croissance des États-Unis tirant celle du monde entier (et sa dette atteignant des sommets). Mais cela ne se présente plus ainsi et il faut trouver une solution de remplacement. Tous les espoirs se portent donc vers les consommateurs des classes moyennes des pays émergents. En 2022, celles-ci dépasseront en nombre celles des États-Unis, selon un rapport Ernst & Young, et il y est vu une opportunité à saisir pour assurer le développement de l’économie mondiale. Que les pays émergents développent leur marché intérieur ne serait donc pas seulement rendu nécessaire pour les besoins d’un rééquilibrage des échanges commerciaux, tel que le réclament avec insistance le gouvernement américain en se tournant vers la Chine. Il serait en réalité vital qu’une nouvelle génération de consommateurs apparaisse sur de nouveaux marchés, les anciens condamnés à une « stagnation séculaire ».

Adopter cette perspective revient à clore un chapitre de la mondialisation et à tenter d’en ouvrir un autre. Comme si les pays que l’on appelle avancés allaient devoir désormais digérer avec difficulté une dette sur laquelle une partie importante de la consommation mondiale reposait, et que le système financier et ses comparses les entreprises transnationales cherchaient de nouveaux points d’appui pour la vente de leurs produits (et leurs activités de crédit). Suivant cette logique, le monde changerait d’axe de développement afin que le business retombe sur ses pieds. À condition toutefois de réussir cette délicate reconversion.

Bousculant ce beau raisonnement, un deuxième niveau de réflexion se dessine. Quel va être l’impact du saut technologique en cours, qui repose sur l’association de la puissance des ordinateurs, de la mise en réseau des objets connectés, du traitement d’énormes quantités d’informations (Big data) et du développement de l’intelligence artificielle et de la robotisation des activités humaines ? Les conséquences sont toutes difficiles à anticiper, mais il pourrait cependant aisément en résulter une importante raréfaction de l’emploi. Un phénomène qui n’épargnerait pas les pays émergents, où les nouveaux marchés de consommateurs tant attendus ne se développeraient alors pas comme prévu.

De profonds bouleversements ne sont pas seulement inéluctables en raison de la nécessité de mieux gérer les ressources finies de la planète et d’en finir avec un système financier en crise chronique. Face à une stagnation de la consommation et à une pénurie du travail disponible, toutes deux prévisibles, le cadre dans lequel fonctionne la société devra être remis en question, et l’endettement ne pourra y sursoir. L’asservissement que représente le travail destiné à gagner sa vie sera réduit et – les robots remplaçant les travailleurs, mais pas les consommateurs – un autre modèle de société devra être inventé, un autre ressort trouvé.