Billet invité
Qu’allaient décider les dirigeants russes, se demandait-on encore ce matin ? Deux hypothèses omniprésentes dans tous les esprits peuvent être écartées : celle d’une invasion militaire à la géorgienne, ainsi que celle d’une partition du pays (qui pouvait aussi en découler). Mais la partie qui se joue en Ukraine est trop importante pour que Vladimir Poutine la joue avec des objectifs aussi limités. Seule certitude : après avoir subi un sérieux revers, Poutine ne va pas abandonner la partie ukrainienne et les dirigeants européens sont prêts à satisfaire son désir d’avoir son mot à dire dans la suite des événements.
Mais il a besoin d’un peu de temps pour reprendre la main, en laissant les Occidentaux s’enliser dans une situation intérieure confuse, avec la perspective de devoir supporter la charge financière du pays, ce qu’ils cherchent en priorité à éviter. Tout en déployant une stratégie de tension, dont la menace sur l’augmentation des droits de douane des produits ukrainiens qui a été proférée aujourd’hui par le ministre russe de l’économie Alexeï Oulioukaev est un avant-goût. Dmitri Medvedev, le premier ministre russe, participe de celle-ci en déclarant ensuite que la légitimité du nouveau pouvoir ukrainien soulève « de nombreux doutes » et que le reconnaître est « une aberration ». Mais il a tempéré ses propos en affirmant que les accords signés et juridiquement contraignants seront respectés, sans préciser lesquels seraient selon lui dans ce cas. Sur ces bases floues, les pourparlers diplomatiques peuvent commencer.
La carte maîtresse des dirigeants russes est financière. En témoigne la déclaration de Donald Tusk, le premier ministre polonais, qui mettait ce midi en garde les nouveaux dirigeants ukrainiens contre toute « logique de vengeance » à l’égard de leurs adversaires politiques. Car c’est avec eux qu’il va falloir trouver un terrain d’entente afin de trouver un compromis avec les dirigeants russes. « L’enjeu principal pour l’Ukraine n’est pas de se venger mais de sauver l’économie et les finances publiques », explique-t-il.
L’évolution de la situation intérieure va être déterminante. Dans la séquence des événements qui ont précédé le départ précipité de Viktor Ianoukovitch, et qui l’expliquent, figurent en bonne place les départs en jet privé des oligarques du pays, qui ont donné le signal du commencement de la fin. La débandade qui s’en est suivie au sein du Parti des régions du Président s’est ensuite apparentée à une opération de blanchiment pour tenter de préserver l’avenir.
Les rapports de force entre les différentes composantes du monde politique sont difficiles à cerner, dans l’attente d’élections législatives qui devront probablement intervenir dans la foulée des présidentielles prévues pour le 25 mai prochain. Trois mois qui représentent une éternité, si rien ne vient modifier cette échéance. On peut faire confiance aux dirigeants russes pour d’ici là peser par tous les moyens sur ce terrain et avancer leurs pions.
Les dirigeants occidentaux multiplient les déclarations afin de ménager les dirigeants russes. Le porte-parole de la Commission européenne, Olivier Bailly, précise à propos d’un accord d’association de l’Union européenne avec l’Ukraine – dont le projet a tout déclenché – que « nous en discuterons avec le prochain gouvernement légitime issu des élections », reprenant au bond la balle lancée par Medvedev. Laurent Fabius, le ministre français des affaires étrangères, déclare : « L’Ukraine n’est pas membre de l’Union européenne mais elle est en Europe. Ses voisins sont à la fois la Russie et l’UE, et il faut souhaiter que l’Ukraine ait des bonnes relations de part et d’autre ». Traduit, cela signifie qu’il va falloir partager le soutien financier à l’Ukraine et que les dirigeants européens sont prêts à une solution politique faisant la part des intérêts russes.
À ce jeu là, Maïdan est loin d’avoir gagné la seconde partie.