Billet invité
Comment comprendre que les marchés soient restés imperturbables ou presque à l’annonce du sévère jugement de la Cour constitutionnelle allemande à propos de l’OMT de la BCE ? Si l’existence de ce programme correspondait à un bluff sur le mode « retenez-moi, sinon j’y vais ! », sa mise en cause n’aurait-elle pas dû occasionner plus que de simples sourcils levés en guise de circonspection ?
Une des raisons de cette réaction limitée pourrait être que la BCE s’apprêterait à lancer un autre programme afin de lutter contre une désinflation trop prononcée, bien que Mario Draghi ne cesse de proclamer qu’il n’y a pas de danger de déflation pour tromper son monde avant de frapper un nouveau grand coup. Benoit Cœuré, de la BCE, évoque la possibilité de taux négatifs (au prétexte d’aider la relance du crédit aux entreprises, cela aiderait les banques à renforcer leurs fonds propres), mais l’arme des taux est émoussée. Il pourrait aussi être question de battre monnaie, sans nécessairement acheter des titres souverains, ou à défaut de lancer un nouveau programme de prêts aux banques flirtant avec la création monétaire, comme celui qui arrive à sa fin et qu’il va falloir d’une manière ou d’une autre renouveler. Dans cette attente, l’incertitude profite à la BCE mais ne règle rien. Les marchés pourront-ils rester longtemps dans l’expectative, après avoir manifesté leur déception à la suite de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE, qui n’a rien entrepris ?
Ils pourraient bien avoir une autre raison de rester sereins, satisfaits de constater que si la Troïka semble avoir fait son temps dans sa configuration actuelle, la politique qu’elle a mise en œuvre est désormais bien ancrée dans les mœurs politiques. Cette instance de circonstance joue désormais le rôle de repoussoir, et les gouvernements sont prêts à quelques inflexions près à suivre ses exigences même si elle devait s’effacer. Notamment en matière de réformes structurelles, qui sont dans certains cas déjà bien avancées et sur lesquelles l’accent est désormais mis. En fin de compte, les marchés ne peuvent-ils pas s’accommoder d’une situation où domine le triptyque désinflation-pression récessive-chômage structurel, s’il est possible de la stabiliser. Une nouvelle crise de la dette et de l’euro serait donc contraire à leur intérêt et l’essentiel réside dans la poursuite de la protection du système bancaire, dont la grande préoccupation est de renouer avec une rentabilité sur fonds propres (ROE) et un bénéfice net par action à deux chiffres (hors bénéfices exceptionnels) : tout est fait pour attirer les investisseurs et satisfaire à moindre coût et a minima aux exigences réglementaires, à commencer par la réduction des effectifs.
Le retour sur le marché obligataire des États assistés s’engage vaille que vaille, imposant à ceux-ci des taux encore très élevés et les laissant sous la menace d’une hausse s’ils ne continuent pas à venir à résipiscence. Dans cette optique, le poids élevé du service de la dette va contrarier les efforts de réduction du déficit et impliquer la poursuite de la politique d’austérité ainsi que la réduction de voilure de l’État. L’ennui de cette politique est qu’elle mène tout droit à la japonisation de l’Europe, ce qui expliquerait l’imminence d’une nouvelle intervention de la BCE.