Billet invité.
Le temps qui en Europe était à l’apaisement sur les marchés vire à la forte incertitude. La BCE a suscité jeudi dernier une déception prononcée en ne prenant aucune des décisions attendues en raison de la poursuite de la désinflation, au prétexte de la « complexité » de la situation. La meilleure des hypothèses est désormais que la Banque préfère garder pour plus tard ses dernières cartouches, la pire est qu’elle a fait une grosse erreur de jugement.
Les juges de la Cour Constitutionnelle allemande ont vendredi accentué le trouble, en déclarant à propos du programme OMT d’achat de titres souverains qu’il existe « d’importantes raisons de penser [qu’il] outrepasse le mandat de la Banque centrale européenne en matière de politique monétaire ». Tout en décidant, fait sans précédent, de demander à la Cour européenne de justice de statuer sur le point capital : y a-t-il en l’espèce violation des traités qui cadrent sa mission ? Mais le mal est fait, laissant planer le doute sur la possibilité qu’a la BCE d’activer désormais son programme pour calmer le jeu si nécessaire, cette menace qui lui donnait tout son poids.
Contribuant à la détérioration du climat, les révélations à propos de manipulations du Forex, le marché des devises où s’échangent quotidiennement 5.300 milliards de dollars de devises, annoncent, comme le signalait Paul Jorion mardi dernier, un scandale encore plus grand que celui du Libor, qui n’est pourtant pas mince. Même cause, même effet : un dispositif reposant également sur un panel de banques aurait permis à des traders d’influer sur les cours, les plus grands établissements bancaires étant à nouveau impliqués. Signe que les enquêtes en cours au Royaume-Uni et aux États-Unis s’approchent du but, les renvois et les démissions de responsables des départements des devises et des changes se multiplient. Plus embarrassant encore, la Banque d’Angleterre aurait été informée à l’époque mais n’aurait pas vu raison de s’inquiéter.
En Grèce, la proposition d’Alexis Tsipras d’organiser une conférence en vue d’annuler une partie de la dette, notamment dans les pays du sud de l’Europe, ne va pas contribuer à détendre l’atmosphère, les sondages accordant l’avantage électoral à Syriza. Tout va être tenté pour conforter Antonis Samaras, le premier-ministre de Nouvelle Démocratie et éviter des législatives anticipées. Enfin, mais passé inaperçu, la Banque des règlements internationaux a dévoilé le 31 janvier un rapport selon lequel les banques européennes étaient exposées à hauteur de 2.200 milliards d’euros sur les marchés émergents, au moment où ceux-ci subissent les effets conjoints du ralentissement de l’économie chinoise et du retrait des capitaux consécutif au tapering de la Fed. Un nouveau facteur de déséquilibre potentiel est apparu.
Seule consolation, le marché obligataire européen redevient un refuge, tout est relatif, et les cours des valeurs bancaires et les taux des obligations que les établissements émettent s’en ressentent. Comme si, également, les prochains examens de l’Autorité bancaire européenne et de la BCE valaient par avance assurance. Le marché a ses raisons que la raison ne connait pas.