Billet invité
Les dysfonctionnements se combinent à l’échelle mondiale. Non seulement en raison des effets du tapering de la Fed, créant sur le marché des devises une volatilité destinée à durer, mais également des politiques non coordonnées des banques centrales. L’une freine, l’autre tire (la banque du Japon), la Banque d’Angleterre reste sur son quant-à-soi et la BCE est sujette à des interrogations permanentes. Si le marché est unique et l’activité financière mondialisée, aucune impulsion commune n’est donnée, chacun restant sur son pré carré. Le G20 et ses prétentions à la gouvernance mondiale ne sont plus qu’un souvenir, les contradictions d’intérêts prédominent. Pour une sortie collective de crise, c’est raté !
La contagion atteint l’économie, rançon de la gloire de la mondialisation. Non seulement en raison des effets d’une demande plus faible du côté des émergents affectant les pays développés, ceux de la zone euro en tête (qui réalise 16 % de ses exportations vers les BRICS), mais aussi de l’importance qu’ont pris les relations Sud-Sud, c’est-à-dire entre pays émergés. La croissance mondiale pourrait rapidement prendre un nouveau coup : la réorientation des économies des pays émergents vers leur marché intérieur suppose qu’ils n’atterrissent pas en catastrophe, ce qui se présente mal. La mondialisation est en crise, aux effets d’enchaînement en faveur de la croissance pouvant vite succéder une pente récessive.
La réglementation financière offre une autre image de la fragmentation qui s’instaure. Non seulement son calendrier est à rallonge, ses lacunes ne sont pas comblées et ses principes ne vont pas droit au but, mais elle ressort d’une grande hétérogénéité, créant des mondes financiers différents dans un univers partagé. C’est valable dans tous les domaines de la régulation ainsi que dans celui des normes comptables (ce qui n’est pas nouveau pour ce dernier). Des deux côtés de l’Atlantique ou de la Manche, des mondes économiques et financiers partagent une vie commune selon des principes distincts dont le raccordement fait problème, et exercent leurs activités dans des cadres différents.
Sur ce fond troublé, le règlement d’une question déterminante reste sans solution : celle du désendettement. Car tant du côté public que privé sa concrétisation tarde, c’est le moins que l’on puisse dire. Des décennies de croissance d’une bulle de dettes étroitement imbriquées les unes aux autres ont abouti à une situation inextricable. Car si l’on parle beaucoup d’endettement, le descriptif de son écheveau fait défaut : qui doit combien à qui et comment ?
La Chine n’échappe pas à ce phénomène majeur, aux prises avec une bulle financière menaçante. Les dirigeants chinois ont-ils les moyens d’en contenir l’explosion ? Leurs tentatives de superviser un shadow banking dont la taille a explosé en l’espace de 5 ans et de resserrer les boulons du côté des banques ne sont-elles pas trop tardives ? Ils sont eux aussi devant un énorme problème d’endettement, le mal est général ! Partout, la question est posée : peut-on s’en accommoder puisque l’on ne peut s’en débarrasser que marginalement et au prix que l’on observe ? Du côté de la Grèce, les dirigeants européens réfléchissent à une extension de la maturité et une diminution des taux des crédits qu’ils ont accordés en bilatéral ou collectivement, mais cela ne règle strictement rien, car la mesure ne commencera à produire un effet substantiel, mais faible, qu’en 2020 et même 2023 pour ce qui concerne l’extension de maturité, qui serait portée de 30 à 50 ans. Comme il est hors de question de reconnaître des pertes sur les crédits à la Grèce, il ne reste plus qu’à lisser le remboursement !
La mondialisation a donné tout ce qu’elle pouvait en termes de croissance, en dépit de la croyance dans l’arrivée d’une nouvelle phase du cycle économique, cette notion fumeuse qui arrange tout par enchantement mais n’explique rien. La croissance aurait pu faciliter la résorption de cette bulle qui englobe toutes les autres, mais il ne faut visiblement pas compter sur elle, tandis que les pressions déflationnistes dues au désendettement accentuent au contraire le coût de la dette globale en termes nets. Cela devrait induire une réflexion sur ses sources, de même qu’a été entamée, avant d’être oubliée, une autre sur la mesure de la richesse.
La taxation des riches envisagée au sein du FMI, ou leur participation aux sauvetages financiers sur une base nationale par la Bundesbank, ne sont pas à la mesure du problème posé. Que cette question soit prise à bras le corps étant pour le moment exclu – l’effacement comme sur une ardoise magique de la dette par l’inflation n’étant pas d’avantage à l’ordre du jour – que reste-t-il devant nous sinon une longue période où seul primera l’espoir d’un autre miracle résultant de l’innovation technologique et de gains de productivité, avec comme conséquence une diminution de l’offre de travail ? La diminution du coût du travail produira la cristallisation d’une autre fragmentation, de nature sociale, car il faut bien alimenter le moteur à produire les inégalités. Est-ce tenable, cela aussi ?