Le monde qui vient : UN TRÈS GROS MALENTENDU, par François Leclerc

Billet invité

La déflation revient sur le tapis, avec la publication des derniers chiffres européens faisant état d’un taux d’inflation à 0,7 %, à nouveau à la baisse et bien en dessous de la cible de 2 % de la BCE. Simultanément, le marché obligataire continue à se détendre sous la protection de celle-ci, tandis que la croissance se limite à des frémissements. Les bourses se portent bien, trop selon certains. Tout cela repose une nouvelle fois la question : à quels indicateurs s’en tenir ? Comment apprécier la situation actuelle alors que, prudent, Mario Draghi a refusé de tirer comme conclusion que la crise est finie ? Tout se résume à l’idée que le système financier est profondément instable et trop complexe pour être appréhendé (et pas seulement pour être expliqué aux profanes).

Le retour sur le marché des pays sous assistance accapare l’attention, afin d’avoir quelque chose à présenter de positif, mais sans s’appesantir sur sa fragilité et encore moins sur ses contreparties. Il est devenu un objectif en soi. Les contraintes imposées par la Troïka ne sont plus nécessaires, la crainte du marché dorénavant suffit, car il ne faut pas le provoquer au risque d’engendrer encore pire ! La leçon a porté. En attendant, un autre indicateur reste résolument dans le rouge, celui du chômage, accréditant l’idée qu’il s’y est installé et qu’il va falloir d’une manière ou d’une autre s’en accommoder. Des « chocs » de toutes sortes y sont opposés, de compétitivité, d’offre, de simplification… en référence à ceux que l’on administre lors d’un arrêt du cœur afin qu’il reparte comme avant. Misère de la pensée économique! comme un ouvrage incontournable titrait dernièrement.

C’est à Larry Summers, économiste américain à juste titre très controversé, étroitement impliqué dans la dérégulation financière des années 80, que l’on doit l’annonce d’une « stagnation séculaire ». Mais la physionomie de la période qui s’ouvre ne peut se résumer à cette unique et sombre prophétie. L’approfondissement des inégalités de répartition de la richesse et la concentration extrême de celle-ci l’accompagnent, comme on le constate déjà. Sans que cette fois-ci la machine à fabriquer de la dette puisse à nouveau les masquer.

L’accent continue d’être mis sur le désendettement, nec plus ultra de la stratégie adoptée, mais est-il crédible si l’on considère les taux de croissance actuels ? Rembourser la dette cumulée n’est pas plus soutenable que d’en supporter le poids. Combien de temps faudra-t-il pour en réduire significativement le stock ? Le même que le maintien de la rigueur budgétaire, de la politique actuelle de dévaluation interne, et de son accompagnement fait d’une croissance anémique et de fortes tendances déflationnistes.

Des États-Unis, on entend sans discontinuer la préconisation d’un rééquilibrage des relations commerciales, condition d’un redémarrage de la croissance des pays avancés reposant sur le développement de leurs exportations vers les pays émergés. Un même schéma est appliqué à l’Allemagne au sein de la zone euro. Mais il prend à rebrousse poil une tendance profonde de la mondialisation et des modèles de développement qui sont désormais comme autant de faux plis qu’il faudrait effacer. Inverser les flux commerciaux mondiaux n’implique pas seulement d’adopter un autre système monétaire, type bancor, mais de leur substituer d’autres modèles qui favorisent les marchés intérieurs et respectent l’environnement.

Henri de Castries, président d’Axa, a développé sa vision du monde le 6 janvier dernier dans le Financial Times dans un article au titre explicite : « Comment les marchés peuvent-il rendre l’économie globale plus sûre ? ». Voilà qui mérite de s’y intéresser ! Pour résumer, l’objectif est en priorité que les pays européens « accélèrent leur convergence », après avoir réalisé les réformes renforçant leur compétitivité, et que la Chine s’ouvre aux capitaux étrangers, après avoir renforcé son système bancaire. L’important est selon lui que « la structure financière mondiale », qui repose trop sur les marchés américains, puisse au final bénéficier d’une offre d’actifs plus diversifiée, afin de redonner au capitalisme financier une assise qui s’effrite.

Le PDG d’Axa pointe le doigt sur un besoin grandissant : celui de disposer d’un socle de dette souveraine solide et accru afin de garantir en dernière instance un stock d’actifs financiers continuant à enfler. Car il faudra sinon se résoudre à renouer avec de fragiles montages devant lesquels la régulation en cours sera impuissante, avec tous les dangers que cela comporte. Ce ne sont donc pas les marchés qui rendront l’économie plus sûre, peut-on en conclure, mais la capacité renforcée des États à garantir la spéculation financière (et la richesse qui en résulte).

La physionomie du monde dans lequel nous avons été plongés n’a décidément rien d’attirant.