Billet invité.
Janvier 2014 : la normalité est à l’ordre du jour en Europe et ce retour à la norme ne présage rien de bon. En prédisant que la Grèce va redevenir un pays normal, le premier ministre grec Antonis Samaras a simplement voulu dire qu’elle allait pouvoir se représenter sur le marché des capitaux, le reste passant au second plan. La prévision est toutefois aventureuse.
Y parvenir semble être devenu le seul objectif. L’Irlande vient de réussir une émission obligataire à dix ans, et le Portugal s’apprête à la suivre. Dans les deux cas, il s’agit d’émissions syndiquées, c’est à dire placées par des banques qui se sont engagées à acheter les titres qui n’auront pas trouvé preneur, une manière de tester le marché avant d’affronter le grand large. Que signifie la réussite de la première, ainsi que la détente enregistrée sur le marché obligataire ? Que le confiance est revenue et que tout redevient comme avant, ou bien simplement que – le faible taux d’inflation à la baisse aidant (+0,7%, aux dernières nouvelles) – le placement devient attractif, la BCE veillant au grain au cas où les taux remonteraient et que la valeur des titres diminuerait ? Le risque d’éclatement de la zone euro éloigné, les investisseurs peuvent revenir, ils sont sauvés ! On verra si c’est durable aux taux pratiqués.
La Grèce est toujours sur le fil. Elle devrait dégager un excédent primaire (budgétaire) modeste, mais derrière la scène et sa présidence pour six mois de l’Union européenne, rien n’est réglé. La Troïka vient d’ajourner la visite prévue à Athènes, laissant penser que c’est en raison de désaccords internes à propos d’une nouvelle restructuration de dette. Antonis Samaras en avait déjà fait état en déclarant « nous sommes en négociation avec trois entités différentes » (la Commission, la BCE et le FMI). En attendant, les négociations avec le gouvernement grec ne débouchent toujours pas, la coalition au pouvoir de plus en plus fragilisée et risquant de disparaitre au profit de Syriza qui serait un interlocuteur moins commode. Un milliard d’euros a été débloqué à la hâte à la mi-décembre pour que le gouvernement puisse faire face, mais la suite reste à écrire, et sans tarder.
Klaus Regling, le directeur général du Mécanisme européen de stabilité (MES), a lundi dernier exclu dans Der Spiegel une nouvelle restructuration de dette qu’Evangelos Venizelos, le ministre des affaires étrangères grec, réclame sous la forme d’un allongement des délais de remboursement et une baisse des taux. Mais, comme le fait remarquer Klaus Riegling en tant que premier créancier de la Grèce, des conditions très favorables ont déjà été consenties.
La discussion porte donc sur les marges de manœuvre dont le MES disposerait, afin de ne pas affronter le problème bien plus délicat d’une décote. Car celle-ci frapperait la BCE, devenue le principal réceptacle des titres de la dette grecque auparavant détenues par les banques privées. Une telle réduction de la dette est défendue par Syriza, et Antonis Samaras ne s’est pas privé de rappeler les engagements pris en novembre dernier par les ministres des finances de la zone euro en sa faveur, si un excédent budgétaire était enregistré !
Un drôle de jeu se poursuit dans les coulisses, le MES renvoyant la balle au FMI, au prétexte que son accord est indispensable à toute baisse des taux relatifs aux prêts déjà consentis, tandis que celui-ci n’a jamais caché (même s’il observe dorénavant le silence) qu’il était favorable à une annulation d’une partie de la dette ou à une décote. La Troïka est quant à elle non seulement fragilisée par ses dissensions internes, mais pourrait plus encore l’être par l’audit lancé par le Comité des affaires économiques du Parlement européen à propos de ses activités, dont la publication des conclusions est prévue pour avril prochain. L’analyse de la conduite des opérations qu’elle a menée à l’occasion de la négociations des plans de sauvetage pourrait avoir valeur de bilan à portée plus générale.
La Grèce vit désormais au gré des révélations sur les affaires de corruption liées aux marchés d’armement. Il a été beaucoup dit sur l’irresponsabilité budgétaire des Grecs, en oubliant le gouffre que le budget de l’armement a représenté pour le pays, pour le plus grand bénéfice de l’industrie allemande et française et des banques européennes. Pour la période 1974-2005, il a représenté 80% des 310 milliards de dette grecque constaté en 2010, lors du déclenchement de la crise qui a affecté le pays. Le monde politique grec y a trouvé également son compte… le pays, c’est moins certain.