Le Conseil européen : DERRIÈRE LE DÉCOR EN CARTON-PÂTE, par François Leclerc

Billet invité.

« Avancée majeure », « fait décisif » : les superlatifs ne manquent pas pour présenter le Conseil européen qui s’ouvre. Pourtant, il n’y a pas besoin d’entrer dans les détails de l’union bancaire adoptée in extremis pour y rencontrer le diable. Ni de beaucoup gratter pour constater que le renforcement de l’intégration européenne chanté sur tous les tons se résume à créer un mécanisme contraignant de contrôle de réformes structurelles, assorti de mesures de « solidarité » qui baignent dans un grand flou. Le coup d’envoi va être lancé pour adoption en juin prochain.

A défaut de présenter un accord parfait, les violons du couple franco-allemand jouent leur partition sous la direction d’Angela Merkel, symboliquement venue rendre une visite parisienne pour « faire avancer l’Europe ». On est en plein story telling à l’annonce d’une nouvelle saison du Conseil européen, à nous de jouer les dupes et aux gouvernements de négocier serré leur futur contrat pour ne pas se retrouver trop contraints, leurs modalités devant être avalisés – raffinement suprême – par la représentation nationale afin que les institutions européennes ne soient pas en première ligne.

Vitor Constâncio, le vice-président de la BCE, ne s’y est pas trompé : prenant la succession de Mario Draghi, il a vivement critiqué l’union bancaire qui est sortie des négociations pour ne pas offrir de réel filet de sécurité financier : le fonds de résolution devrait selon lui disposer de la capacité à emprunter sur les marchés. Une telle intervention n’est pas dans les usages et en dit plus long que toutes les tentatives de percer les mystères de l’accord intervenu, que chacun cherche à présenter sous le jour le plus favorable, surtout lorsqu’il a dû comme le ministre français beaucoup en ravaler : l’union bancaire qui a été décidée s’inscrit dans les faits dans le cadre national restrictif voulu par le gouvernement allemand.

10 ans à partir de 2016 seront nécessaires pour réunir dans ce fond 55 milliards d’euros provenant des banques, permettant de mettre en avant qu’elles financeront leur renflouement sans faire appel aux fonds publics. C’est aller très vite en besogne, si l’on prend en compte les délais et la modicité de la somme finale. Dans une longue période intermédiaire, les choses sont beaucoup moins clairement établies. La participation des actionnaires et des créanciers est plafonnée à 8% de leurs pertes, ce qui implique qu’au-delà – les fonds nationaux n’ayant que peu de moyens – ce sont les États qui devront emprunter au Mécanisme européen de stabilité (MES), les banques n’ayant pas d’accès direct à celui-ci suivant la formule utilisée en Espagne. Le montage financier retenu aboutit à ce que le fond de renflouement sera très sous-capitalisé durant ses premières années d’existence, lorsque les besoins de financement seront les plus élevés : on comprend la réaction de la BCE.

Le cas espagnol illustre à tous points de vue les décisions européennes. Le secteur bancaire y a été totalement restructuré et les banques recapitalisées grâce à 44 milliards d’euros de prêts européens; mais en dépit de la création d’une bad bank déjà richement dotée d’actifs douteux (si l’on peut dire), le taux de créances douteuses dans les bilans bancaires continue de monter et s’élève à 13%. Ces actifs représentent 190 milliards d’euros, donnant une idée de l’ampleur du nouveau sauvetage qui pourrait être nécessaire. Quant aux réformes structurelles, l’OCDE en donne un avant-goût en réclamant une nouvelle diminution des indemnités chômage espagnoles et la poursuite de la « modération salariale » afin de « renforcer le marché du travail ».

Les fonds de réserve qu’il faudrait aligner sont beaucoup trop importants, en raison des besoins de renforcement de la capitalisation du système bancaire. Les diminuer en faisant l’impasse sur la dépréciation des obligations souveraines qu’elles détiennent ne règle pas le problème. Hans-Werner Sinn, le président du respectable institut allemand IFO, propose par ailleurs la tenue d’une conférence européenne sur la dette, mais il ne sera pas entendu. Le système bancaire européen est à la fois trop gros pour faillir et être sauvé ! « Que les banques payent pour les banques ! », comme s’est exclamé pour s’en féliciter le Commissaire Michel Barnier est une audacieuse présentation d’une union bancaire qui n’a pratiquement d’union que le nom. Et ce n’est pas l’intégration européenne qui va faire un pas en avant mais la discipline budgétaire qui se prépare à sortir renforcée…