Billet invité
La scène politique européenne actuelle ne se résume pas à la crise rampante de la vie politique institutionnelle, scandée par ses échéances électorales et parfois ses élections anticipées. Des mouvements massifs plus ou moins sporadiques et organisés bouleversent régulièrement son jeu traditionnel, s’inscrivant même parfois dans le processus électoral. C’est le cas en Italie, avec le Mouvement 5 étoiles ou en Grèce avec Syriza. Ailleurs, ils n’y accèdent pas mais représentent la même désaffection envers le monde politique professionnel et la recherche identique d’une issue à une situation vécue comme un enfermement.
Dans un tel contexte mouvant, des coalitions hier impensables ont été mises sur pied faute d’autre solution, à chaque fois expression de la fragilité de la situation. C’est là aussi le cas en Grèce, mais aussi en Italie. Auparavant réglés par un métronome, les calendriers électoraux sont désormais plus incertains, l’instabilité politique s’étant accrue. Quand ce n’est pas le cas, mais que les gouvernements en place sont très contestés, comme au Portugal et en Espagne, rendez-vous est pris pour 2015. Entre-temps, les élections européennes de mai 2014 vont exprimer ce que les professionnels redoutent et qu’ils qualifient péjorativement de populisme (pour ne pas jouer leur jeu). Le Parlement européen qui en sera issu sera un peu plus la caisse de résonance d’un monde qui n’avait pas d’opportunité pour s’y exprimer de manière audible.
L’un des paradoxes des rendez-vous qui suivront pourra être de remettre en selle par défaut des équipes précédemment désavouées : celles du parti socialiste portugais et du PSOE espagnol. Au jeu de l’alternance, il n’y a que cela en magasin. En guise de trouble-fête, on peut trouver mieux ! En Grèce, une victoire de Syriza aurait une autre portée, mais la consultation n’est prévue qu’en 2016 et tout sera fait pour ne pas la devancer. Anticipant une place de premier parti aux élections européennes qu’il avait failli obtenir aux dernières législatives, son leader Alexis Tsipras poursuit l’objectif contraire.
La scission intervenue au sein du parti de Silvio Berlusconi a été saluée dans toute l’Europe comme un renforcement de la coalition emmenée par Enrico Letta, qui était condamnée à tanguer au risque de couler. Disposer d’interlocuteurs en mesure de relayer peu ou prou l’orientation de la stratégie européenne actuelle est en effet vital pour sa poursuite. L’étape faisant suite au pacte fiscal n’est-elle pas d’obtenir que des contrats contraignants soient avalisés pays par pays ? Afin qu’ils bénéficient d’une onction démocratique dont ni la Commission, ni le Conseil européen qui regroupe les chefs d’État et de gouvernement, ne peuvent se prévaloir.
Mais le jeu politique italien est décidément imprévisible : le Conseil d’État vient de retoquer certaines dispositions en vigueur de la loi électorale, prenant de court les tentatives de réforme, aboutissant à l’instauration d’une proportionnelle pure fort peu susceptible dans le contexte actuel de donner la majorité de gouvernement répondant à l’attente de nos stratèges européens. Beppe Grillo en profite pour réclamer des élections anticipées, le gouvernement actuel devenu anticonstitutionnel selon lui, et Silvio Berlusconi y voit un encouragement à refuser toute réforme afin de poursuivre sa stratégie de tension. La progression vers le pouvoir de Matteo Renzi, le maire de Florence appelé dans un premier temps à prendre la direction du Parti démocrate, ne s’annonce plus comme une marche triomphale. Option présentée en raison de son modernisme comme étant la meilleure sortie de crise de la vie politique italienne, il est catalogué par d’autres, en raison de son populisme, comme un Berlusconi de gauche.
La tentative italienne de régler le problème par une réforme électorale fait l’impasse sur l’essentiel : aller au gouvernement, pour en faire quoi ? Comment cela se pose-t-il au niveau européen ? Du côté des professionnels, il est espéré infléchir la politique imposée par le gouvernement allemand. C’est tout le sens des rapprochements recherchés entre les gouvernements espagnols, français et italien, sur fonds de compromis avec les Allemands à propos de l’union bancaire. Du côté des trublions, cela part naturellement un peu dans tous les sens. Beppe Grillo, le leader du Mouvement 5 étoiles, est partisan d’un référendum sur l’appartenance de l’Italie à la zone euro ; Alexis Tsipras continue de faire campagne pour une restructuration de la dette et la renégociation du plan de sauvetage de la Grèce. Il manque la mise en forme d’une politique européenne alternative, portée dans plusieurs pays car il n’y a pas d’issue nationale à la crise. Elle pourrait reposer sur un ensemble de réformes structurelles, pas les mêmes, pour ne pas laisser à ceux qui en exigent le monopole de la formulation à leur avantage…