Billet invité.
Lorsque l’on en vient à désespérer du spectacle du monde, et plus particulièrement des âneries qui sont proclamées – rarement de bonne foi mais toujours selon un intérêt bien compris – comme autant de vérités intangibles et de recettes incontournables, une constatation peut apporter un certain soulagement : « ils » sont leurs pires ennemis !
« L’histoire, aurait dit Karl Marx qui connaissait son monde, ne se répète pas, elle bégaie »… A ce sujet au moins, on ne peut pas lui donner tort : toujours en quête d’une pierre philosophale, les adorateurs du Grand Satan tentent de relancer la titrisation, cette martingale des succès d’hier… à l’origine de la plus grande frayeur qu’ils se sont par la suite donnés quand elle a dérapé. Que la mémoire est oublieuse quand l’appétit du gain renait ! expliquant que la titrisation, qui n’est certes plus dans ses grandes heures, connaisse ces temps-ci un véritable regain de faveur aux États-Unis, et avec elle les dévoiements dont elle est potentiellement porteuse.
La titrisation, c’est quoi ? Une invention du diable quand elle est détournée et sert à discrètement évacuer du bilan des actifs trop risqués en les revendant, ou bien à améliorer le ratio des fonds propres, repoussant ainsi les limites à la création de crédits. Des titres financiers sont créés, regroupant des créances en paquets plus ou moins risqués et rémunérés, dans l’attente de leurs revenus futurs. Encore un exemple de ces mutations, que les financiers idolâtrent. C’est un carburant à indice de rendement élevé, qui tout simplement permet d’alimenter la machine à fabriquer de la dette… avec de la dette, tout comme les Cocos qui renforcent les fonds propres.
Sa production s’est brutalement arrêtée avec l’affaire des subprimes – vous vous en souvenez ? – mais combien il est tentant de la relancer ! Car la question peut être simplement posée : comment les dépenses des plus aisés, qui concentrent de plus en plus la richesse, pourraient à elles seules faire fonctionner l’économie ? Alors, pour relancer le crédit et l’économie tout à la fois, on reprend la même recette et titrise ce qui vous tombe sous la main : des prêts étudiants en plein essor, ou bien destinés à l’achat de panneaux solaires, ou encore les loyers des habitations en remplacement des crédits hypothécaires de mauvaise mémoire… Le marché des CLOs (Collateralised Loan Obligations) retrouve ses couleurs d’avant la crise et les volumes d’émission progressent, notamment dans le secteur du crédit immobilier commercial. Petit à petit, la titrisation se réinstalle dans ses meubles, s’intéressant à certains secteurs du crédit qu’elle avait auparavant délaissés, sans se soucier de l’absence d’historiques permettant de calculer (avec plus ou moins de garanties) des prévisions du risque de non remboursement des dettes sur lesquelles reposent les produits. C’est le périlleux chemin qui est à nouveau emprunté.
Les banques, les fonds de pension et les compagnies d’assurance souscrivent, motivés par des rendements que les bas taux de la Fed ont raréfiés et dont ils ont besoin. Rapporté au monde financier, c’est le principe du tournesol qui se tourne vers le soleil… or, celui-ci brûle ! Où le génie du mal va-t-il se cacher ? Dans une version contemporaine de la fièvre de l’or et du dérèglement de l’âme humaine, ou bien au cœur d’un système dont l’équilibre pourrait sinon être menacé ? La réponse se voit comme le nez au milieu de la figure : pour remplir leurs engagements, les fonds de pension et les assurances ont besoin d’un niveau de rendement qu’ils doivent impérativement trouver, le risque devenant secondaire.
Avec constance, la machine reproduit les conditions de sa propre perte, en prétendant naturellement avoir tiré les leçons de l’épisode précédent…