Billet invité.
Les taux au jour le jour des banques centrales, parlons-en ! Cela n’a l’air de rien mais cela peut tout changer ! c’est tout du moins ce qu’il faudrait croire au lendemain de la décision de la BCE de baisser le principal d’entre eux, tandis qu’aux États-Unis il est préconisé de poursuivre une politique de taux proche de zéro pendant une longue période. Toutefois, ce n’est pas si simple à y regarder de plus près, et a plutôt l’air d’une dernière cartouche qui est tirée !
Les banques centrales n’ont pas d’autre ressource que de changer leur fusil d’épaule devant la menace de la déflation qui a pris le pas sur celle – qui avait atteint une dimension historique, avant d’être subjuguée – de l’inflation. Mario Draghi, le président de la BCE, prend acte que la désinflation va accompagner l’Europe, ce qui n’est pas une bonne nouvelle, omettant de préciser qu’elle vire à la déflation dans sa partie la plus malade, ce qui l’est encore moins. Mais l’on n’a rien sans rien dans ce monde-là : une telle politique maintenant très bas le coût de l’argent crée le danger de l’apparition de bulles financières. On le voit aux États-Unis, où la banque d’investissement Blackstone se lance dans la titrisation des loyers des maisons qu’elle a rachetées à bas prix aux banques qui les ont saisies, où Twitter voit son action grimper de 73% à son introduction (sans afficher le moindre bénéfice), et où le marché des actions continue de dépasser les prévisions les plus optimistes. En Europe, les autorités allemandes s’inquiètent de l’apparition d’une bulle immobilière dans leur pays favorisée par la baisse du taux de la BCE.
La BCE suivant désormais la politique de taux bas ou quasi nul de ses consœurs, la Fed en est à s’interroger sur son coup d’après, afin de freiner ses achats mensuels de 85 milliards de dollars de titres sans déclencher une hausse des taux que sa simple annonce avait immédiatement engagée, car la taille du bilan de la Fed ne peut pas indéfiniment augmenter. Afin d’explorer ces nouveaux territoires inconnus où les boussoles s’affolent, deux papiers vont être présentés à une conférence organisée par le FMI qui se tient cette semaine. En raison de ses incidences, une hausse des taux résultant d’un tel coup de frein doit être évitée, mais comment en convaincre les marchés ? Pour y aider, les papiers en question suggèrent de baisser à 5,5% le seuil du chômage en dessus duquel la Fed n’augmentera pas son taux, et d’annoncer tolérer un taux d’inflation atteignant 2,5%, les deux ayant peu de chance de se réaliser prochainement. C’est sans garantie de résultat, mais le Fed est à fonds de cale et n’a plus comme moyen à sa disposition que d’annoncer la poursuite de ce qu’elle a déjà entrepris.
Ne pas parvenir à contenir la hausse des taux sur le marché aurait des implications sur lesquelles les régulateurs se penchent ; en premier sur le gigantesque marché des repos de 4,5 milliers de milliards de dollars, ce lieu de prédilection du shadow banking où les établissements bancaires se refinancement à court terme. Après s’être intéressés aux risques créés par les fonds monétaires à valeur constante, l’une de ses composantes, c’est au tour des M-Reits d’être l’objet d’un examen. Jusque-là restés dans l’ombre et d’une taille bien plus modeste, les Mortgage Real Estate Investment Trust – qui ont connu leur essor quand les fonds monétaires se sont retirés par prudence du marché des titres immobiliers hypothécaires – financent leur activité à court terme sur ce même marché des repos. Une soudaine hausse des taux aurait des conséquences potentielles néfastes sur les fonds monétaires, comme sur les M-Reits, sans parler du coût accru de refinancement de la dette fédérale : elle amoindrirait une source de financement essentielle des banques et renchérirait son coût, et elle aboutirait à une remontée des taux immobiliers sur un marché toujours sinistré qui n’a pas besoin de cela. L’exposition des banques aux M-Reits est mal connue, encore un de ces dangers systémiques que l’on peine à cerner, et encore plus à éliminer.
Que les banques centrales, en dépit de tous leurs efforts, ne parviennent pas à relancer l’économie n’est plus vraiment une nouveauté. Mais que leurs tentatives de stabiliser le système financier rencontrent de telles difficultés et contradictions l’est par contre. Le loyer de l’argent renvoie à la dette, qu’il faut rétribuer. Mais lorsque le capital rencontre tant de difficultés à l’être, menacé par le défaut et soumis à une baisse des taux destinée à durer, cela dépasse la seule question de la dette publique à laquelle il est enjoint de s’arrêter et conduit à de nouvelles aventures. Le capitalisme financier est malade de la dette dont il fait d’ordinaire ses choux gras, et ce n’est pas une simple indigestion mais une véritable overdose.