Billet invité.
Quelle surprise ! La Commission européenne a revu à la baisse ses prévisions de croissance dans la zone euro en 2014, qui passent de 1,5 % à 1,1 %, en attendant une éventuelle nouvelle dégradation. Tout en se refusant à « crier victoire » afin de conserver un minimum de crédibilité, le commissaire Olli Rehn affirme cependant voir « des signes croissants que l’économie européenne a atteint un tournant, la consolidation budgétaire et les réformes structurelles entreprises ont créé une base pour la reprise ». On connait la ritournelle !
Deux critères président à cet examen bruxellois régulier, dont c’est la dernière livraison : la croissance et le déficit budgétaire, la première diminuant et le second n’en faisant pas autant comme prévu. C’est un peu court, car le chômage n’est évoqué que pour le juger « inacceptable » (mais accepté), la tendance déflationniste qui se précise étant quant à elle ignorée. Celle-ci conduit les analystes financiers à spéculer une fois de plus à propos des décisions que la BCE pourrait annoncer à la suite de sa prochaine réunion régulière du jeudi. Baisse du taux directeur ? Nouvelle opération de prêts aux banques ? La seule chose que l’on sait, c’est l’opposition allemande à ces deux options. Reste la troisième : ne rien faire.
Les marges de manœuvre rétrécissent lentement. En premier lieu pour les pays qui n’atteignent pas leurs objectifs de réduction du déficit, dont le trio composé de la France, l’Espagne et l’Italie (cette dernière allant à l’inverse dépasser le seuil des 3 %). Le 15 novembre prochain, à l’issue de son examen des budgets 2014 dans le cadre de l’exercice de son nouveau droit de regard, la Commission pourrait exiger des changements. Aux gouvernements d’en faire ensuite leur affaire. Dans un souci diplomatique d’équilibre, elle pourrait également entamer un examen de la politique économique allemande, au vu de la balance des comptes courants excessivement excédentaire du pays.
Mais s’il ne s’agissait que de cela ! La vulnérabilité de l’Italie à une hausse des taux d’intérêt est grande étant donné l’importance de sa dette (en raison de son refinancement). Afin de les stabiliser, les banques italiennes pourraient continuer à acheter la dette de leur pays, se fragilisant d’autant, mais c’est à condition que la BCE les finance. La poursuite de leur progression est toutefois dans l’air du temps, suite au signal donné par la Fed annonçant la réduction de son programme d’achat de titres. Les obstacles que la coalition emmenée par Enrico Letta rencontre déjà pour boucler son budget 2014 n’en sortiraient pas amoindris.
Ces jeux auront une fin, l’assainissement budgétaire érigé en principe est une voie sans issue qui ne pourra pas être indéfiniment prolongée. Le gouvernement grec ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme à la Troïka revenue négocier à Athènes que de nouvelles coupes budgétaires ne sont pas envisageables. Inexorablement, la détérioration de la situation se poursuit en Grèce, en Espagne et au Portugal, avec comme principal indicateur la montée d’un chômage dont le taux a déjà atteint des sommets. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le Portugal a perdu un emploi sur sept depuis 2008.
Pour n’adopter que ce seul angle, les exportations allemandes sont à 69 % à destination des pays européens (selon un critère géographique), et à 57 % si l’on considère les seuls 28 membres de l’Union européenne. Comment, dans ces conditions, l’Allemagne pourrait-elle sortir saine et sauve du contexte européen si compromis ? Faisant un mauvais calcul, le gouvernement se refuse à ouvrir le robinet de l’aide financière et ne consent qu’à en laisser sortir un filet, néanmoins conséquent et qui de surcroît va devoir grossir. Le débat sur le troisième pilier de l’union bancaire fournit le dernier exemple en date de cette politique de rétention : il en sortira probablement un compromis instituant une coordination des fonds nationaux de renflouement des banques, sans en préciser les modalités ou en les assujettissant à des conditions hors de portée.
On aura rarement vu un tel aveuglement dans l’histoire contemporaine, sauf pour se précipiter dans une guerre qui s’annonçait et que l’on ne voulait pas voir. Mais comment avertir de ce que tout le monde sait déjà sans le reconnaître ?