Billet invité
Le constat est devenu banal et on s’excuserait presque de le rappeler : la croissance et le crédit ne repartent pas, le désendettement est en panne. Les décisionnaires, incapables de toute remise en cause, s’accrochent à leur vision du monde et à leurs recettes tandis que, non sans rapport, les nantis en font autant pour garantir leur patrimoine et leurs privilèges. Pourtant, ne faudrait-il pas convenir que tout ne fonctionne plus comme avant ? Les pays et les angles d’attaque ne manquent pas pour le démontrer. Un exemple : ni la consommation, ni le chômage n’y font exception dans le pays qui s’en tire encore le mieux du point de vue de la croissance, les États-Unis.
Dans un contexte général de désendettement des Américains – leur dette est passée de 125 % de leurs revenus en 2006 à 100 % aujourd’hui – le crédit à la consommation progresse néanmoins de 5,4 % (valeur annualisée, août 2013). Cela ne résulte pas du développement du crédit revolving (les cartes de crédit), ce financement traditionnel de la consommation, car il est annoncé se contracter, mais de l’accroissement des prêts étudiants. Ceux-ci représentent désormais 30 % de l’ensemble des crédits à la consommation, contre 17 % en 2008, d’après la société de recherches et d’analyses Prime View, contribuant au premier chef à leur progression. Leur taux de défaut augmente également – il était de 12 % en 2012 – mais ils sont à 80 % garantis par le gouvernement fédéral, n’étant adossés à aucun actif, contrairement aux prêts immobiliers. La croissance du crédit n’est donc pas le signe avant-coureur d’un rebond de la consommation des particuliers, entrainant celui de la croissance économique. Il correspond avant tout à une dépense contrainte au coût exorbitant : l’accès à l’université qui conditionne l’avenir des enfants.
L’économie américaine ne crée pas assez d’emplois pour résorber le chômage, et de plus en plus nombreux, les économistes cessent de tenter d’interpréter les oscillations du taux classique du chômage pour se référer au taux de participation de la force de travail, qui ne masque pas les sorties de liste des chômeurs découragés et tous ceux qui ne s’y inscrivent même pas. Établi à 67,5 % en 2000, ce taux était de 63,2 % en septembre dernier et il continue de descendre, chutant particulièrement chez les jeunes. Mais si l’on utilise un indice qui élargit la notion de chômage et intègre les temps partiels subis, le taux qui en résulte est de 13,5 % en septembre dernier, ce qui représente 21 millions d’Américains (et non pas 7,2 % et 11,3 millions selon le taux de chômage classique du même mois). Enfin, autre phénomène tout à fait nouveau, le chômage de longue durée (plus de 27 semaines) se développe et concerne 40 % des chômeurs recensés. Le marché du travail est modifié en profondeur, incitant l’administration Obama à mettre sur pied un programme d’urgence destiné à indemniser les chômeurs au-delà de 26 semaines.
Changeant leur fusil d’épaule, la Fed et la Banque d’Angleterre ont lié le relèvement de leur taux directeur à la baisse du taux de chômage, accordant à celui-ci une importance de premier plan au détriment de l’inflation. Mais la question reste entière : à quel niveau se trouve désormais ce chômage que l’on appelle structurel (une notion qui faute de mieux signifie qu’il n’est pas conjoncturel) ?
Progressivement, l’idée que tout va redevenir comme avant est abandonnée, sans que l’avenir ne soit encore regardé en face. L’espoir de diminuer la peine prévaut, ou de s’en prémunir en se retirant dans son coin, les deux sans trop savoir comment ; inévitablement, l’idée qu’il faudrait s’y prendre autrement demande du temps pour émerger… pas trop si possible !