L'actualité de demain : ON RECHERCHE DE GRANDS EXPLORATEURS ! par François Leclerc

Billet invité

Les candidats à l’exploration des territoires inconnus, dans lesquels nous avons pénétré selon Christine Lagarde, ne se précipitent pas ! Et pourtant, la liste des premières découvertes déjà dressée est impressionnante. Mais elles sont déconcertantes, à rebrousse-poil des certitudes d’une science faite de dogmes qu’il faudrait renier…

Qui n’a pas entendu cette phrase énigmatique : « les mécanismes de la transmission monétaire ne fonctionnent plus » ? Plus simplement dit, les banquiers centraux qui la prononcent régulièrement admettent ainsi que leur boîte à outils monétaires ne leur est pas d’une grande utilité pour réparer le système au chevet duquel ils veillent, lui injectant faute de mieux des liquidités, telle une morphine à laquelle l’accoutumance se confirme et qu’ils ne semblent pas pouvoir cesser d’administrer sans casse. La question désormais est posée : « et si les politique monétaires non conventionnelles étaient irréversibles ? ».

Un autre gros dysfonctionnement est en passe d’être détecté dans le ciel lourd d’orage : le désendettement ne s’enclenche pas comme espéré. Il n’est au mieux question, sans même toujours y parvenir, que de diminution des déficits, ayant pour effet de ralentir la progression de la dette publique et non pas de commencer à la résorber. Tout au contraire, les États-Unis et le Japon élèvent chacun à leur manière le plafond de leur dette. Faut-il en conclure que, si on ne peut pas la rembourser, la restructurer sera demain inévitable ? Le pas n’est pas facile à franchir en raison du chaos et des conséquences prévisibles. Ces deux découvertes mises bout à bout, que peut-il en être conclu ? Que le système ne conserve son équilibre, après l’avoir brutalement perdu, qu’au prix d’une perfusion monétaire permanente et d’un endettement qui perdure…

Mais les modifications du paysage enregistrées ne s’arrêtent pas là. Dans un monde qui ronronnait, l’inflation avait été identifiée comme l’ennemi principal, puis réduit à l’impuissance, les banques centrales restant par précaution l’arme au pied. Mais, par un effet de contre-pied inattendu, c’est l’hydre de la déflation qui pourrait faire son apparition, le Japon n’étant plus une regrettable exception mais un exemple précurseur risquant de se généraliser. Ce qui entraverait encore le coût de la dette, en renchérissant son remboursement.

En pénétrant plus avant dans ces nouvelles contrées, on observe que le marché obligataire n’est pas non plus exempt de comportements singuliers. Trop bas, ses taux sont à l’origine de la formation de nouvelles bulles d’actifs dont le destin est tôt ou tard d’exploser ; trop haut, ils renchérissent à leur tour le coût du roulement de la dette et laminent les marges de secteurs entiers des marchés financiers. Pis, ils développent chez ceux-ci, à titre de compensation, un appétit pour le risque qui flirte dangereusement avec des errements auxquels il avait été promis de ne plus succomber.

En descendant dans les gouffres de la finance, c’est une étrange pénurie qui progressivement se précise : celle du collatéral, ces actifs réputés sûrs qui consolident les fonds propres des établissements financiers – banques, mais aussi compagnies d’assurance – ou qui sont apportés en garantie de transactions financières. Dans ce nouveau monde où la défaillance de l’autre est toujours possible, l’opacité n’est plus nécessairement un avantage, car elle masque le danger, mais le choix de la transparence est impossible. À l’origine du phénomène on trouve la disproportion de plus en plus accentuée entre le monde financier et l’activité économique, avec comme seul remède l’ingéniosité de l’ingénierie financière et ses risques induits.

Des tentatives de maîtriser cette dernière viennent d’être récompensées par un prix Nobel associant bizarrement des travaux contradictoires et un économiste connu pour s’opposer aux deux autres, sans être pourtant parvenues à régler un problème central : la mesure de la valorisation des actifs complexes qui ont fait les beaux jours, puis les malheurs du système financier. Qu’est-ce qu’un monde, se demande-t-on, dans lequel la mesure du risque est impossible, les solutions empiriques proposées pour le mesurer ne fonctionnant pas ? Comment, dans ces conditions, déterminer le prix d’actifs dont la théorie nous dit qu’il en est une des composantes, aux côtés d’une loi de l’offre et la demande présentée pour peu comme clé ultime de compréhension de la conception standard de l’univers économique et financier ? Comment, également, se prémunir de ce risque ?

Une autre découverte n’est encore que précautionneusement déterrée : le chômage actuel ne serait pas destiné à être résorbé, baptisé structurel pour mieux le signifier. Une stagnation à opposer à la vivacité avec laquelle les inégalités sociales continuent de progresser, la machine à les fabriquer ayant été laissée intacte par une régulation aveugle ou complaisante (plusieurs choix possibles), n’ayant pas comme objectif de la stopper. Le patrimoine est roi au royaume du capitalisme financier.

L’énumération n’est pas complète et l’exploration ne va pas s’arrêter là, mais en faut-il plus pour dire que la viabilité de ce nouveau monde est en question ? Le système financier génère son propre déséquilibre, et la société est parcourue par des polarisations sociales et politiques qui se tendent. L’ancien monde n’est plus possible, le nouveau n’est pas tenable : de deux choses l’une, la troisième…

Dénommées la croissance ou la confiance, les énigmes s’accumulent, ayant en commun de ne pas se manifester. Cette science tient donc de la magie ratée, faite d’invocations ne rencontrant pas d’échos ! Pauvre planète pour laquelle aucune de rechange n’est disponible, les exoplanètes trop lointaines et nos limites physiologiques trop vite atteintes dans l’espace ! Jadis, les manifestations climatiques et les cataclysmes naturels étaient sources de religiosité, celles de notre propre activité procèdent aujourd’hui de la même incompréhension, alimentée par d’autres croyances…