Billet invité.
Réfléchir à ce que devrait être la France à échéance de dix ans, afin de s’affranchir du court terme et du calendrier politique ; établir un constat permettant d’accomplir cet objectif et de dégager des préconisations : telle est l’ambitieuse mission qui a été confié au nouveau Commissariat général à la stratégie et prospective que préside Jean Pisany-Ferry. En ouverture d’un débat avec des think tanks, celui-ci a jeudi matin présenté lors d’un point de presse où le blog de Paul Jorion était invité cinq notes analytiques , faisant suite à une contribution au séminaire gouvernemental d’août dernier. Elles portent sur les modèles productif, social et républicain, sur la soutenabilité et le modèle de croissance, ainsi que sur le projet européen. A cette étape des constats, mais aussi des pistes formulées en termes généraux, les préconisations finales concernant la politique à suivre sont prévues pour la fin de l’année, un délai bien court vu l’ampleur des questions abordées. Entre-temps, l’intention est de cultiver une « culture de discussion » en associant des think tanks aux réflexions qui vont se poursuivre.
Un tel exercice prospectif n’est pas nouveau, mais il est susceptible d’acquérir un certain relief dans un contexte propice aux remises en cause et aux approches nouvelles. Quand on commence à tirer les petits fils rouges, comme la démarche présentée y invite, que peut-on trouver si l’on va jusqu’au bout ? Quand on rapproche des problématiques traitées d’habitude séparément, que voit-on apparaître ? Quand on abandonne le domaine des certitudes et que l’on éclaire pour les questionner celui des présupposés, à la recherche de nouveaux indicateurs, à quelles reconfigurations radicales risque-t-on à la fin d’aboutir ? L’avenir le dira, quand les mesures préconisées seront identifiées.
Parmi les remarques pertinentes figure l’observation que le coût financier des mesures d’ordre curatif liées au développement des inégalités serait minoré si ces dernières étaient traitées en amont, de manière préventive, afin d’être réduites grâce à des « investissements sociaux ». Quitte à se situer sur le terrain préventif, un tel programme pourrait vite conduire à passer au partage du bien commun et à l’élargissement de la sphère des biens publics, dans le cadre d’un nouveau modèle de société. Tout comme les considérations sur les moyens de renouer avec une cohésion sociale qui s’effrite et de remédier à la perte de confiance dans les institutions, appellent à une refonte et un élargissement de l’exercice de la démocratie.
La crise financière est bizarrement absente de la réflexion, même si elle y est sous-jacente dans la description de ses effets. Mais comment la mettre entre parenthèses dans le cadre d’une vision à dix ans alors qu’elle dure déjà depuis cinq ans et que l’on n’en voit pas la fin ? Comment parler du modèle productif sans remettre en cause le poids et le rôle de la finance de l’économie ? Une 6éme note aurait pu traiter du modèle financier…
Quel est l’enjeu ? Identifier les réformes structurelles que la société réclame, afin que ceux qui s’en remettent à la diminution du coût du travail et à la poursuite de la financiarisation n’aient pas le champ libre.