L'actualité de demain : FAUT-IL SIGNER UN PACTE AVEC LE DIABLE ? par François Leclerc

Billet invité.

Quelle place les banques centrales méconnues et secrètes occupent-elles dans l’imaginaire collectif ? Il leur est accordé une toute-puissance – toute relative si l’on constate leur impuissance sur les marchés monétaires, quand ils se déchaînent – et il plane sur elles l’ombre du plus profond mystère qui l’accrédite. Mais ne sont-elles pas l’envers d’une triste réalité : la capitulation du pouvoir politique qui leur accorde des missions qui ne sont pas les leurs pour les uns, sa participation à un système oligarchique pour les autres ? Créant le sentiment d’être laissé pour compte, sur le carreau, devant la puissance d’un système financier qui a le dernier mot, ainsi qu’un vide politique à remplir, une occasion à saisir pour ceux qui savent s’en emparer. Dans un monde qui ne tourne pas rond et n’est plus capable d’autre promesse que la projection d’un avenir qui empire, il y a besoin de sauveurs, une fois constaté que la seule promesse dont sont encore capables ceux qui se sont investis dans les métiers de la politique, c’est de ne plus en faire afin d’être encore crédibles.

Dans ce dispositif, les banques centrales ont une place à part. Il est naturel que dans une situation qui ne promet rien de bon, elles soient investies de nouvelles missions. On les voit s’interroger sur le niveau de la croissance économique et de l’emploi en Europe, qui n’est formellement pas de leur ressort, ainsi que sur le financement défaillant des entreprises, qui ne l’est pas davantage, tandis que celui des banques justifie leurs lourdes et constantes interventions. Le mauvais fonctionnement des canaux de la transmission monétaire est prétexte à cette omniprésence. Les médias sont suspendus aux déclarations des banquiers centraux comme à autant d’oracles, comme si dans un monde où les repères manquaient, où les indicateurs et les indices ne montraient plus rien, ils disposaient d’une clairvoyance faisant partout ailleurs défaut. En vérité, les banques centrales se sont, sans le clamer sur les toits substituées aux marchés, ces investisseurs anonymes entre lesquels la confiance fait également défaut.

Qu’est-il attendu de ces banquiers centraux investis d’un tel pouvoir grandissant ? En premier lieu d’effacer la dette, cette excroissance mortifère, d’un coup de chiffon comme sur une ardoise magique, afin de redonner visage humain à un paysage qui l’a perdu. Une intervention qui soulagerait tout le monde, en particulier ceux qui ne devraient pas ainsi l’affronter, assis sur un couvercle afin de n’avoir à s’interroger ni sur ses causes, ni sur ses remèdes. Un acte de justice, considérant la disparité de traitement dont le système bancaire bénéficie, auquel l’économie ne pourrait prétendre au nom d’interdits relevant du passé. Au bout du compte, les banques centrales ont changé de statut, passant de celui de prêteur en dernier ressort à celui de sauveur suprême.

Mais cela ne va pas sans contrepartie, comme dans tout système financier qui se respecte. Il a pour nom, un peu galvaudé, démocratie. Là aussi, le monde a changé : les banques centrales étaient ce lieu où la vérité n’était que distillée, susurrée du bout des lèvres à l’occasion de conférences de presse mises en scène et de communiqués aux termes empesés utilisant des expressions à clé. Puis s’est imposé un grand changement qui nous est comme toujours venu des États-Unis, intitulé « forward guidance» (littéralement : « prospective d’orientation »), repris par les cousins britanniques et enfin par la BCE. Du jamais vu : les banques centrales disent à l’avance ce qu’elles vont faire ! elles qui préféraient le laisser deviner pour que les marchés ne puissent pas anticiper.

Mais cette nouvelle lisibilité a ses limites, plus particulièrement en Europe, s’agissant de démocratie. En témoignent deux débats, à propos de la publicité accordée aux minutes des réunions du conseil des gouverneurs de la BCE – sur le modèle de la Fed – ainsi que des décisions à venir de l’instance chargée de la supervision bancaire au sein de la zone euro. Dans le premier cas, rien n’est toujours décidé, avec comme argument pour ceux qui s’y opposent de protéger de toute pression nationale les 23 gouverneurs qui n’en sont pas moins hommes (pas de femme à ce niveau de la BCE), dans le second, il a fallu conclure un compromis avec le Parlement européen à qui des informations seront transmises à titre confidentiel et au compte-goutte aux happy few. Afin, nul n’en doute, de préserver les banques en état de faiblesse de la vindicte de leurs collègues. Autant d’expressions d’une conduite de secret masquant des vérités pas bonnes à dire. Comme le rappelle aujourd’hui Paul Jorion dans son entretien sur Atlantico.fr : plus le rôle des banques centrales monte en puissance, moins les contrôles de la démocratie représentative, déjà limités, peuvent s’exercer : telle est la rançon de la gloire, ou plutôt le pacte signé avec le diable…

Triste épilogue prématuré d’une crise qui perdure, il est de tous côtés question de s’en remettre à des mécanismes monétaires mystérieux et à des sorciers qui savent les invoquer pour mieux abdiquer. Comme si, décidément, les forces du marché étaient les plus fortes et que rien ne pouvait leur être opposé, si ce n’est ceux qui sont réputés savoir les dompter. Le parti de la capitulation aurait-il de beaux jours devant lui ?