L'actualité de demain : LEURS RÉFORMES STRUCTURELLES ET LES NÔTRES, par François Leclerc

Billet invité

Les problèmes structurels se sont accumulés, comme l’observait encore le 26 août Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, tirant comme conclusion que « faire miroiter une fin rapide de la crise est objectivement faux et n’encourage pas à faire des réformes ». Le constat n’est pas en soi original, auquel il est fait appel pour réclamer des réformes en rapport, c’est-à-dire structurelles, afin de libérer une croissance qui serait simplement bridée, si l’on comprend bien. Il est généralement suivi de l’énoncé d’un catalogue de mesures, la suppression de diverses rentes de situation et, invariablement, l’accroissement de la flexibilité du travail et la diminution de son coût. Pour aboutir, dans un même mouvement, à diminuer le revenu des consommateurs en touchant à celui des producteurs, impliquant de relancer la machine à produire de la dette afin de résoudre cette contradiction.

Le sujet mériterait mieux que la mise en scène d’une opposition ne laissant pas d’autre choix, à l’avantage des premiers, entre partisans modernistes des réformes et contempteurs de celles-ci crispés sur leurs acquis. Le fruit d’une stratégie de communication, avec pour objectif un enfermement dans des raisonnements biaisés comme il en est tant. Tout au contraire, une véritable réflexion sur les réformes structurelles pourrait s’appuyer sur des évolutions naissantes, éparses mais à la portée symbolique, tout en prolongeant leur logique.

La gratuité des transports urbains est un thème émergent de l’activité municipale. L’accroissement de la fraude donne une nouvelle actualité à des expériences qui restent localisées, comme à Aubagne, dans les Bouches-du-Rhône ; les partisans de ces solutions font remarquer que d’autres services municipaux sont gratuits (les bibliothèques, les piscines, etc.) et qu’un tel principe abolirait à la fois la fraude et un contrôle devenant de plus en plus onéreux à force de devoir être développé. Signe parmi d’autres de l’étendue du problème, des mutuelles clandestines proposent dans les universités de rembourser aux étudiants leurs amendes contre cotisation.

L’extension de la sphère des échanges non-marchands est à l’ordre du jour dans d’autres domaines, comme par exemple celui de l’eau, ce secteur où les délégations de service public ont abouti à créer des rentes de situations dont profitent des entreprises privées mises en cause pour leurs activités de corruption des élus et la tarification abusive de leurs services. La notion de bien public – à distinguer de celle de service public, qui peut être payant – est souvent mise à contribution par les partisans de la gratuité qui ont trouvé avec les services ayant internet comme support l’illustration la plus massive et irrésistible de leur vision de l’évolution de la société. Ceux qui prédisaient que les activités commerciales et payantes finiraient par l’emporter en sont aujourd’hui pour leurs frais, les deux secteurs coexistant et les tentatives de créer un internet à deux vitesses pour les privilégiés n’aboutissant pas.

Pourvue d’un secteur marketing développé, la grande distribution suit de près l’évolution du comportement des consommateurs et donne une image de celle de la société. À ce titre, elle est pleine d’enseignements, comme l’est la publicité. Une enseigne vient ainsi de lancer un service de location d’appareils électroménagers et high-tech. La société marchande s’adapte aux pressions qui pèsent sur les revenus et aux nouveaux arbitrages qui se dessinent. Anticipant une baisse de son chiffre d’affaires, elle en vient à privilégier l’usage sur la propriété, expérimentant pour se substituer au crédit à la consommation classique une offre de location pluriannuelle qui intègre l’entretien et le remplacement avec l’usage.

C’est sous un autre angle que se développent de nouveaux services faisant appel aux compétences des particuliers : celui de la location d’outils de bricolage, ou d’installations permettant la réparation des voitures, ou bien encore de location de véhicules à double commande permettant des leçons de conduite à bas prix. Plus en amont, les industriels font évoluer leur gamme de produits en développant une offre low cost, originellement destinée aux sociétés émergentes, tandis que se développe toujours dans les nôtres le marché d’occasion des ordinateurs personnels.

De manière durable, la société s’adapte à la nouvelle donne économique et à l’érosion du statut des classes moyennes qui s’est engagée, rompant avec des usages et des services qui semblaient pour toujours installés. Jusqu’où ces nouveaux comportements peuvent-ils aller, qui impliquent plus les consommateurs que les citoyens, agissant ensemble et séparément à la fois ? Ils induisent des logiques de distribution et d’usage rendant dans la pratique plus crédible l’avènement d’autres mécanismes de fonctionnement de la société, la bataille d’idées y trouvant des points d’appui pour identifier les réformes structurelles à réaliser.