Billet invité
Cette histoire a commencé lorsque le déséquilibre commercial entre les États-Unis et la Chine a été pointé du doigt par les premiers, la seconde étant conduite à amasser d’énormes réserves de dollars et à financer la dette américaine. La sous-évaluation d’un yuan à parité quasiment fixe en était à l’origine, selon les autorités américaines qui n’ont depuis cessé de demander son réajustement.
Cette stratégie monétaire s’est poursuivie tout au long de ce qui a été appelé par le gouvernement brésilien « la guerre des monnaies », lorsque les largesses de la Fed destinées à relancer la machine ont alimenté une spéculation connue sous le nom de carry trade dans les pays émergents, favorisant la hausse de leur monnaie et perturbant leurs exportations. Les choses auraient pu se calmer, la récession et la faible croissance des principaux clients de la Chine ralentissant son activité exportatrice et l’accumulation de nouvelles réserves, la Fed lui succédant pour soutenir la dette américaine. Mais elles ont brutalement repris lorsque ces mêmes capitaux, après être venus faire leurs petites affaires dans les pays émergents, ont été rapatriés par des investisseurs craignant un arrêt progressif des achats obligataires de la Fed et de la distribution de nouvelles liquidités. Créant cette fois-ci une dépréciation de leurs monnaies depuis mai dernier, affectant à nouveau leur économie en renchérissant cette fois-ci le coût des importations et en accentuant l’inflation.
Le FMI s’est immédiatement déclaré prêt à intervenir pour prêter des liquidités à des systèmes financiers asséchés après avoir été inondés, mais les souvenirs qu’il a laissé sont autant de repoussoirs. Les mesures limitées de contrôle des capitaux qui ont été prises par certains, admises du bout des lèvres par le même FMI, n’ont pas joué leur rôle et l’on se demande même si les interventions des banques centrales pourront encore limiter les dégâts. À Jackson Hole, ce rendez-vous annuel des banquiers centraux, la question a été au centre des discussions, sans qu’aucune décision ne soit prise. Et pour cause : elle est du seul ressort de la Fed, qui a reculé après que le marché lui ait clairement signifié qu’il était opposé à la fermeture du robinet en faisant grimper les taux de la dette souveraine, un indicateur avec lequel on ne plaisante pas à Washington. Une fois encore, le statut du dollar – à la fois monnaie des États-Unis et monnaie de réserve – fait trembler le monde qui assiste résigné aux effets des mouvements incontrôlés des capitaux libellés dans cette devise. Les banquiers centraux présents à Jackson Hole – les principaux ayant préféré faire chaise vide – n’ont pu que faire la preuve de leur impuissance. Le FMI, dernier rempart, reconnaissant quant à lui par la voix de Christine Lagarde que « la fin des politiques monétaires accommodantes pourrait bien se traduire par une difficile course d’obstacles » pour les pays émergents.
La modeste modification des droits de vote au sein du conseil d’administration du FMI est toujours bloquée, rendant totalement illusoire l’amorce d’un progrès sur le chemin d’une réforme du système monétaire international. Une inertie de plus, alors que le 5éme anniversaire de l’effondrement de Lehman Brothers sera fêté le 15 septembre prochain, précédé par le G20 de Saint-Petersbourg des 5 et 6 du mois, où les pays du BRICS pourraient lancer un fonds d’intervention sur le marché des changes, sans grandes chances de succès a priori. La capacité du système financier à se réformer s’en ressent fortement, comme le constate Robin Harding, qui a couvert Jackson Hole pour le Financial Times et appelle significativement à la rescousse Keynes et sa proposition d’un « actif international de réserve » (sans nommer le bancor).
Au déséquilibre du commerce international causé par une globalisation réalisée sous les auspices du système financier succède, en s’y ajoutant, le déséquilibre de celui-ci, exporté par les États-Unis. Aucune volonté politique n’apparait, capable afin de juguler cette crise dans la crise, car cela impliquerait la fin de l’empire financier américain. Encore un cadre dont il n’est pas question de sortir.