Billet invité.
Menée dans la dernière ligne de son mandat par Ben Bernanke – que l’on n’ose appeler droite – la Fed enregistre une deuxième vague de réactions à son ballon d’essai du 19 juin dernier à propos d’un calendrier d’arrêt progressif de ses achats mensuels de titres de 85 milliards de dollars. Les marchés se sont d’abord cabrés, avec pour conséquence une hausse du taux de la dette américaine (et par ricochet allemande et française), au moment où son replafonnement va à nouveau être un enjeu au Congrès, ainsi qu’une hausse plus générale des taux, notamment immobilier, ce qui n’est pas mieux venu. Puis, ils ont brutalement rapatrié des pays émergents les fonds qu’ils y avaient engagés dans le cadre de leurs opérations de carry trade. Cet aller-retour massif atteint durement les économies indienne, indonésienne, brésilienne, sud-africaine et turque en font chuter leur monnaies, à tel point que le FMI a sans plus tarder annoncé être prêt à fournir des fonds à ceux qui seraient dans le besoin.
Depuis la conférence annuelle des banques centrales de Jackson Hole, dans le Wyoming, Christine Lagarde a multiplié les formules pour signifier qu’il n’était pas opportun pour la Fed de passer à l’acte, en annonçant qu’elle « ne suggérait pas une course vers la sortie », ou bien que les politiques monétaires accommodantes devraient « un jour » prendre fin, tout en soulignant leurs « risques » dans l’immédiat : « même si elle est bien menée, la fin des politiques monétaires accommodantes pourrait bien se traduire par une difficile course d’obstacles » pour les pays émergents, a-t-elle prédit, car « cela nous mènera en territoire inconnu ».
Cette dernière précision est cependant superflue, car ce territoire inconnu a déjà été atteint. Illustrant l’absence d’occasion pour y briller et la perplexité dans laquelle les banquiers centraux sont plongés, il n’y a pas affluence cette année à Jackson Hole. La ferveur avec laquelle le nouveau gouverneur de la Banque d’Angleterre a été accueilli à Londres pour son début de mandat a de ce point de vue témoigné d’attentes qui risquent d’être déçues, et le temps où Mario Draghi était surnommé « Super Mario » est révolu…
La cause est entendue, ou plutôt elle ne l’est pas : les banques centrales sont collées à leur politique monétaire ultra-accomodante et ce n’est pas Haruhiko Kuroda, le gouverneur de la Banque du Japon, qui en disconviendra. Le 21 août, il a annoncé être prêt à accélérer le fonctionnement de la planche à billet, si la croissance ralentissait en raison de l’augmentation de la taxe sur la consommation destinée à réduire l’augmentation incontrôlée du déficit public. On en revient toujours aux deux mêmes bons vieux fondamentaux : la croissance, qu’il faut solliciter, et la dette publique, toujours à réduire en priorité. Au milieu se trouve le système financier, dont l’addiction à la liquidité n’est plus à démontrer et qui le fait savoir, sans se soucier des conséquences inflationnistes sur le prix des actifs financiers. Que font les banques centrales ? elles font de leur mieux !
Des menaces encore indécises, dont il faudrait se prémunir seraient-elles à l’origine d’une réunion peu fréquente des principaux dirigeants de la politique économique et financière, autour de Barack Obama. Celui-ci a rencontré le 19 août dernier le conseil des gouverneurs de la Fed au grand complet, avec son secrétaire au Trésor, Jack Lew, et Richard Cordray, le tout nouveau directeur du bureau de protection des consommateurs (CFPB). S’inscrivant dans le cadre de la campagne qu’il mène en défense de classes moyennes – confirmant en cela le sort qui les attend – Barack Obama a eu ce commentaire : « pour bâtir une classe moyenne solide, nous avons besoin d’un système financier stable et de protections de bon sens ». L’accélération de l’application des mesures de régulation financière a été en réalité discutée, ainsi que les coupes opérées par le Congrès dans les crédits avec pour objectif de rogner les ailes des agences de régulation. Afin de mettre prioritairement en vigueur la réglementation Volcker de séparation des activités de dépôt et de spéculation sur fonds propres des banques ayant accès aux guichets de la Fed, toujours retardée en raison de la puissance de leur lobbyisme. Une manière pour le président américain de couper court aux tentatives de durcissement du ratio d’effet de levier qui ont vu le jour au sein du Congrès.
L’ensemble de ces mesures tourne autour du pot, prétendant protéger les banques de leurs propres turpitudes pour en faire autant des contribuables, afin de ne pas en venir à l’essentiel (et au bon sens dont se prévaut Barack Obama) en interdisant la spéculation financière. Mais les régulateurs, qui espèrent tenir leur revanche après avoir du avaler beaucoup de couleuvres, en durcissent les modalités, au grand dam des banques, sur le terrain où ils ont le plus les coudées franches : le ratio d’effet de levier. Car le blocage est total sur la séparation des activités des banques, que ce soir au Royaume-Uni, au sein de la zone euro ou aux États-Unis.
Une autre illustration de cette réaction est fournie par la multiplication des enquêtes et des poursuites engagées par la SEC et le ministère de la justice (DoJ) contre JP Morgan Chase, la première de la classe à Wall Street. Dans la course aux amendes, pénalités et poursuites judiciaires, la banque s’apprête à dépasser Bank of America, pourtant bien partie. Selon la formule consacrée, la banque « coopère pleinement » avec des autorités qui ont élargi leurs investigations à de multiples secteurs de son activité, donnant le sentiment de ne pas vouloir se contenter de têtes de lampistes et d’une admonestation sans lendemain. A ce rythme, James Dimon, le PDG, est en passe de ravir à Lloyd Blankfield de Goldman Sachs du titre de banquier le plus malfaisant !
Pendant ce temps-là, les dirigeants européens contemplent leur nombril, intoxiqués par leur propre propagande sur la reprise. Tandis que les autorités américaines continuent de manifester leur inquiétude par rapport au risque persistant de déflation. Moody’s a annoncé le 22 août étudier l’abaissement de la note de JP Morgan Chase, Goldman Sachs, Bank of America et Wells Fargo, fleurons du système bancaire américain.
Du côté des banques françaises, qui jouent toujours les modestes quand le vent se lève chez les autres, la Société Générale se lance dans l’émission de titres super-subordonnés à durée indéterminé, des produits de dette revenus en grâce au Comité de Bâle et éligibles au titre de fonds propres. C’est moins aléatoire et probablement coûteux que de prendre place sur le marchés des CoCos, mais tout aussi scabreux. BNP Paribas s’essaye de son côté à la relance de la titrisation avec des paquets de prêts à des sociétés de négoce sur le marché des matières premières, dont il est devenu urgent de se débarrasser en raison de l’évolution de la réglementation américaine dans ce domaine. Leur vente soulagera d’autant le bilan de la banque et la rapprochera un peu des normes d’effet de levier lointaines à atteindre.