Billet invité.
L’Europe, à commencer par le Royaume Uni, sont ils menacés de connaître une situation à la japonaise ? En déflation chronique, le Japon cherchant une fois de plus à en sortir, aux bons soins de la banque centrale qui continue ses injections massives de liquidités, à la faveur de ses achats d’obligations d’État de l’équivalent de 385 milliards d’euros par an. Mark Carney, le nouveau gouverneur de la Banque d’Angleterre qui a pris ses fonctions le 1er juillet, a de son côté marqué les esprits en présentant sa politique de « forward guidance » (d’engagement pour l’avenir), insistant sur le fait qu’il ne voulait pas répéter les erreurs commises au Japon dans les années 90, lorsque les mesures de stimulation économiques furent prématurément stoppées et la réforme des banques laissée inachevée, entraînant une récession.
En évoquant le spectre de la japonisation de l’économie britannique, Carney a apporté sa réponse à la question, crédibilisant des inquiétudes non exprimées. Guido Mantega, le ministre brésilien des finances, les a évoquées à sa façon en appelant le FMI à reconsidérer ses programmes d’ajustement fiscal dans les pays périphériques de la zone euro afin qu’ils soient plus réalistes. Barack Obama en a fait autant en recevant Antonis Samaras, le premier ministre grec, et en déclarant : « il est important d’avoir un plan de consolidation fiscal pour gérer la dette, mais il est également important de se concentrer sur la croissance et l’emploi ».
L’équation que tous doivent résoudre est toutefois sans solution si la croissance ne se concrétise pas, et comment le pourrait-elle ? S’appuyant sur « les tout premiers signes de relance » qu’il décèle au Royaume-Uni, Mark Carney explique qu’elle doit être alimentée par « une consommation reposant sur les revenu et pas sur la dette ». Remarquant, comme si ce n’était pas le cas, que la finance « peut jouer un rôle socialement et économiquement utile, à condition que les personnes travaillant dans le système bancaire se concentrent sur l’économie réelle ». Mais il y a loin de la coupe aux lèvres !
Basant ses prévisions sur une croissance considérée comme optimiste de 2%, le gouvernement japonais vient de faire une volte-face en annonçant des mesures d’économies budgétaires de l’équivalent de 62 milliards d’euros en deux ans, après avoir en début d’année engagé un plan de relance de 80 milliards d’euros, tout en affirmant par la voie de son ministre des finances, Taro Aso, « nous n’avons aucun projet de mener une politique d’austérité pour parvenir à l’équilibre budgétaire. Nous y parviendrons grâce à la croissance ». Priorité a dû cependant être donnée à la réduction du déficit public, pour laquelle le FMI venait de lourdement insister, avec pour objectif de le réduire de moitié d’ici 2016, la dette atteignant déjà 245% du PIB.
A peine élu, le premier ministre Shinzo Abe avait en décembre dernier imagé sa politique en la représentant sous la forme de trois flèches qu’il entendait décocher : un plan de relance budgétaire, un assouplissement monétaire et des réformes structurelles destinées à doper la croissance. Les deux premières l’ont été, mais l’on attend toujours la troisième. Un plan non annoncé de réduction des dépenses budgétaires par contre intervient – qui a tout d’un tournant non revendiqué – les réformes structurelles présentées par le FMI comme devant être « concrètes et de grande envergure » pour que le dispositif ne déraille pas ne se concrétisant pas. Le débat à propos de l’augmentation de la TVA et des dangers de retour à la récession qu’elle représente faisant par ailleurs rage.
Il y a bien communauté de problèmes entre le Japon et l’Europe, la conjugaison de politiques de relance et de désendettement – toutes deux impératives – se révélant mission impossible, tandis que le système bancaire européen est accaparé par le sien. Quant à la déflation, c’est la Fed qui s’en inquiète ouvertement aux États-Unis, son comité de politique monétaire notant lors de sa dernière réunion que l’inflation est « de façon constante sous son objectif de 2% », ce qui pourrait « créer des risques ».
La résultante est désormais connue en Europe, sous la forme d’une tendance récessive prononcée destinée à durer, accompagnée d’une lente détérioration de la situation sociale quand elle n’est pas précipitée par des plans de sauvetage. Encore bravo !