L'actualité de demain : LE BON BOUT DE LA RAISON, par François Leclerc

Billet invité.

Les régulateurs financiers se souviennent-ils de Jacques Prévert écrivant : « Dans chaque église, il y a toujours quelque chose qui cloche » ? C’est en tout cas ce qu’ils constatent en dépit de leurs efforts pour trouver une formule garantissant le renforcement de la solidité des banques. Ils s’y sont déjà pris à deux fois, et ce n’est pas fini, car aucune d’entre elles n’est satisfaisante.

Tout a commencé avec Bâle III, un ensemble inachevé de contraintes de renforcement des fonds propres et de constitution d’un matelas de liquidités. Il est ensuite apparu que les nouveaux ratios, durcis par rapport aux précédents, reposaient sur du sable, c’est à dire sur une mesure du risque confiée aux banques elles-mêmes. Pas nécessairement par duplicité, mais simplement parce qu’elles seules sont en mesure de démêler l’écheveau de positions prises avec des produits structurés complexes. Confirmation en a été donnée lorsqu’est apparue la nécessité qu’elles fournissent aux régulateurs un mode d’emploi pour le réaliser, au cas où elles s’écrouleraient.

Nous en sommes au deuxième épisode, avec l’entrée en scène de l’effet levier, qui se contente de mesurer le rapport entre les actifs au nominal et les fonds propres, afin de ne pas tenir compte de valorisations qui s’avèrent douteuses par nature, et pas seulement par calcul. Mais des rebondissements de l’intrigue ne sont pas à exclure. Car les banques européennes, pour lesquelles atteindre un ratio d’effet de levier même modeste –3% est en discussion – représente un gigantesque effort, se délestent de leurs actifs afin d’y parvenir. Ceux qu’elles parviennent à vendre sont nécessairement de la meilleure qualité. Ce faisant, elles reviennent sur la constitution d’un matelas de liquidité pour lequel elles ont obtenu quatre années de délai supplémentaire, jusqu’en 2019, le hasard faisant bien les choses !

Pour satisfaire à une nouvelle obligation, les banques européennes contreviennent à la précédente, mais avec l’autorisation d’autorités compétentes qui à force commencent à douter un peu d’elles-mêmes… Les banques américains et asiatiques, dont l’effet de levier est bien moindre, ne se sentent pas concernées et profitent de la situation pour acheter les actifs mis en vente sur le marché. Les banques européennes, qui se trouvent les doigts coincés par la porte, en viennent à réclamer une régulation contracyclique qui ne leur demande pas de simultanément se renforcer et de largement dispenser le crédit afin d’assurer le service de la relance. S’y soustraire empêcherait de vérifier que ce mécanisme rassurant fonctionne dans un monde où tout est bouleversé ! Les banques américaines, qui par contre conservent intact leur matelas de liquidité, font quant à elles remarquer que le ratio d’effet de levier désormais à la mode prend en compte à la fois des chiffons et des serviettes, des actifs tangibles et des produits structurés, et rappellent non sans raison que ces derniers sont à l’origine de la déconfiture de Lehman Brothers. On n’en sort pas !

Si aucun principe n’est valable, les uns pêchant par ici et les autres par là, que décider ? Va-t-on s’orienter vers la confection d’une salade mélangeant un peu de chacun, dans la grande tradition d’une régulation qui se perd dans les détails pour ne pas voir l’essentiel ? La recette s’en annonce très improbable, d’autant que les velléités de la régulation buttent sur la disparité des systèmes bancaires et des normes des deux côtés de l’Atlantique. Ou bien l’idée émergera-t-elle que le problème du renforcement des banques n’est pas pris par le bon bout ? Qu’il s’agit ni de les prémunir de leurs propres turpitudes, ni de séparer de manière plus ou moins convaincante leurs activités pour les laisser jouer sans surveillance dans la cour à leurs dépens, mais de proscrire tout simplement ces jeux dangereux ?

Confronté à une énigme, Joseph Joséfin, plus connu sous le nom de Rouletabille, recherchait toujours « le bon bout de la raison »…