Billet invité
Petit à petit, l’univers de la finance se découvre aux yeux de ceux qui n’en soupçonnaient pas la complexion. D’abord en raison de la précarité de son échafaudage, puis de sa croissance fulgurante. Les paradis fiscaux se sont ensuite révélés comme n’en étant pas d’exotiques annexes mais son cœur même. Aujourd’hui, sa grande fragilité réapparaît après avoir été masquée, celle des banques étant l’une de ses facettes. Démesurée par rapport à l’économie, sa garantie ultime, la taille de ces banques contribue à ce que l’activité financière repose sur du sable, menaçant leur équilibre précaire et effritant la confiance qui régit leurs rapports.
Après avoir défrayé la chronique, puis s’être retirées dans l’ombre complice, les banques reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène, aux prises avec leur désendettement tout comme les États. Pis, se révélant comme un facteur de la poursuite d’une crise dont les causes ne sont toujours pas réglées, mais au contraire dissimulées pour ne pas être identifiées, en attendant de la faire rebondir. Elles étaient trop grosses pour faire faillite, elles le sont également pour fonctionner sans accrocs, n’ayant d’autre ressource, faute de renforcer leurs capitaux propres, que de réduire drastiquement la taille de leur bilan (tandis que celui des banques centrales continue d’enfler par compensation, afin de faire fonctionner le système).
Le cas de la Barclays est exemplaire. Celle-ci vient d’annoncer qu’elle allait procéder à une augmentation de capital de 5,8 milliards de livres sterling (6,6 milliards d’euros), afin que ce dernier représente 3 % du montant de ses actifs, à la demande instante de l’autorité de régulation britannique (Financial Conduct Authority). Il est actuellement de 2,2 %, la commission des normes bancaires du Parlement préconisant pour sa part 4 % en règle générale. Mais l’utilisation de ce nouveau ratio – l’effet de levier – n’échappe pas au pathétique ambiant de la régulation financière. Car, au terme d’un renforcement qu’elle présente comme « audacieux et décisif », la banque sera en mesure d’absorber au maximum des pertes de 3 % de la valeur de ses actifs ! Nous voilà rassurés…
En complément de l’augmentation de capital de 5,8 milliards de livres prévue, Barclays va procéder à une réduction de la taille de son portefeuille d’actifs de 65 à 80 milliards de livres. La comparaison entre l’augmentation de capital et la réduction des actifs est éloquente, montrant comment la banque va procéder, ne faisant en cela que suivre une pratique dont on voit déjà d’autres exemples, avec notamment celui de la Deutsche Bank.
Dans ce processus, il va aussi falloir compter avec les fameux CoCos, dont le statut n’est pas encore totalement clarifié, les titres de cette dette obligataire qui mutent automatiquement en action lorsqu’un événement prédéterminé intervient. Mais, comme le relève Robert Jenkins (un ancien de la Banque d’Angleterre) dans un article du Financial Times, le comportement des futurs détenteurs de ces titres est incertain, car ils représentent une nouveauté dans le paysage financier. Ils ont l’avantage pour les investisseurs d’être fortement rémunérés et de la déductibilité de leurs intérêts des impôts au Royaume-Uni ; mais que se passera-t-il lorsque le moment de leur mutation en actions approchera ? Les mêmes investisseurs ne risquent-ils pas de se délester en catastrophe de ces titres, à la manière d’un bank run, précipitant la chute de leur valeur ? En mettant en évidence la grande fragilité de la banque et le côté dérisoire de son renforcement, Robert Jenkins vient d’accéder au statut qui sera plus tard envié d’iconoclaste, rejoignant ceux qui l’ont déjà précédé et devançant tous ceux qui vont le suivre.
Ainsi que le préconise inlassablement aux États-Unis un autre membre de la première heure du club, l’ancien économiste en chef du FMI Simon Johnson, les mégabanques doivent être démantelées, car elles sont de par leur dimension des bombes à retardement. Sans préjudice du bannissement d’un certain nombre de joujoux malfaisants, instruments incontrôlables des paris sur les fluctuations des prix sans utilité ni pour l’économie, ni pour la société, comme Lord Adair Turner l’avait relevé dans un propos percutant qui lui a probablement coûté la présidence de la Banque d’Angleterre. Encore un grand incompris !