L'actualité de demain : LE TRAVAIL DE SAPE SE POURSUIT… par François Leclerc

Billet invité.

On ne présente plus Elizabeth Warren, désormais sénatrice du Massachusetts, à ce titre plus que jamais bête noire de l’industrie financière américaine. Et il serait abusif de la cataloguer dans la fameuse cinquième colonne qui se découvre progressivement, dont il est rendu compte au fil de l’eau dans cette chronique, vu qu’elle n’a cessé pour ce qui la concerne d’agir à visage découvert.

Avec le sénateur républicain John McCain, Elizabeth Warren vient d’ailleurs de prendre une de ces initiatives que l’on appelle aux États-Unis bipartisane, afin de peser tout leur poids dans la situation politique de forte polarisation entre démocrates et républicains qui s’y poursuit. Entraînant tous deux dans leur sillage un groupe de sénateurs, ils veulent aller plus loin que la loi Dodd-Frank et viennent de proposer une nouvelle loi en référence au Glass-Steagall Act de 1933, tout en prenant en compte les nouveautés parmi les produits financiers. « Il est temps de restaurer notre confiance dans les institutions financières en reconstruisant la muraille qui a protégé notre économie pendant des décennies aux lendemains de la Grande dépression », a commenté Maria Cantwell, la sénatrice démocrate de l’État de Washington qui soutient le projet, d’après le Financial Times.

La vision peut être considérée comme naïve et passant à côté de l’essentiel, elle n’en a pas moins une portée dans le contexte américain. Elle s’inscrit dans la lignée d’une autre initiative bipartisane des sénateurs Sherrod Brown (dem) et David Vitter (rep), dont l’objet était d’accroître drastiquement les obligations de fonds propres des mégabanques. Une telle résistance fait contraste avec l’attitude qui prévaut en Europe, et notamment en France, avec la volte-face hier du gouvernement à propos du projet de taxe sur les transactions financières (TTF), l’émoussant à l’extrême après l’avoir fermement soutenu, faisant suite à la scandaleuse loi Glass-Steagall à la française, qui élude soigneusement l’essentiel.

Dans ce même ordre d’idée, le gouvernement français se préparerait à faire un cadeau de 25 milliards d’euros aux banques nationales, en modifiant à leur avantage la part des sommes placées sur les livrets A et de développement durable qu’elles conservent, au détriment de la Caisse des Dépôts à qui elles sont prioritairement destinées, qui aurait pu leur trouver d’autres affectations plus en phase avec les besoins sociaux du moment. Le relèvement du plafond du livret A a eu en effet comme conséquence un afflux de dépôts sur ces livrets, au détriment d’autres produits bancaires. On apprend de Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, qu’il s’agit de contribuer au financement de l’économie, mais la réalité de ce transfert massif ne serait-ce pas d’aider les banques à renforcer leurs fonds propres afin de satisfaire aux obligations réglementaires ? A propos de la TTF, Pierre Moscovici, ministre des finances « pragmatique et réaliste » selon ses dires, n’a-t-il pas expliqué qu’elle « suscitait des inquiétudes quant à l’avenir de la place de Paris et quant au financement de l’économie financière », pour afirmer dans la même veine qu’elle était « excessive » et devait être « améliorée » pour qu’elle « ne nuise pas au financement de l’économie » ?

Ce n’est donc pas en France, où le storytelling bien pensant continue de sévir, qu’un nouveau membre de la cinquième colonne s’est découvert ! Mais en Allemagne, à l’occasion de la remise d’un prix à l’historien de l’économie Niall Ferguson par la Ludwig Erhard foundation. Catalogué parmi les néocons aux États-Unis, il a en effet surpris son auditoire à l’occasion de ses remerciements : « La crise de la zone euro n’est pas intervenue en raison de l’incapacité des pays du Sud à adopter une réforme du marché du travail comme en Allemagne. La crise était une crise bancaire transatlantique qui n’épargna pas les banques allemandes. Une réforme du marché du travail n’aurait pratiquement pas eu d’impact sur les problèmes institutionnels qui sont la véritable cause des divergences en termes de compétitivité au sein de la zone euro. » Ce n’est pas encore tout à fait cela, mais on s’approche !