Billet invité
Les négociations se poursuivent aujourd’hui entre ministres des finances à propos de l’union bancaire et des méthodes possibles de renflouement des banques : sans surprise, la question de savoir qui payera la note est au centre des discussions entre les États, le MES, les créanciers des banques et les déposants. Le côté surprenant de ces débats est qu’ils se déroulent en aveugle, c’est-à-dire sans référence à l’ampleur des pertes auxquelles le dispositif retenu en fin de compte permettra de faire face ! On n’est plus à un non-dit près.
Certes, l’Asset Quality Review (l’examen de la qualité des actifs) est annoncé par l’Autorité bancaire européenne (EBA) comme allant être une nouvelle opération vérité destinée à voir ce que le système bancaire européen a dans le ventre, dissimulé par des valorisations suspectées d’être accommodantes et trompeuses. D’où la défiance que les banques continuent de manifester entre elles, conduisant la BCE à continuer à suppléer aux défaillances du marché interbancaire. Mais si un de ces consensus chers aux économistes était établi à ce propos, il prédirait que cette nouvelle version des précédents stress tests, rebaptisés pour la circonstance vu la faillite des précédents, n’annoncera comme besoins de financement que ce qui sera décemment à portée, sans faire toute la lumière souhaitée. Le taux de créances douteuses des banques ne cessant d’augmenter en raison de la récession économique, il représente en Espagne 10,87 % du total des crédits bancaires, soit 162 milliards d’euros, en dépit des transferts précédents d’actifs douteux à la Sareb, la bad bank espagnole.
Sans même entrer dans ces considérations, il n’est pas inutile de lancer un pavé dans la mare, comme vient de le faire le quotidien financier français « Les Échos ». L’ensemble des structures de défaisance (bad banks) créées en Europe depuis le début de la crise logerait actuellement, selon ses calculs, environ 1.000 milliards d’actifs douteux ou illiquides (invendables). L’hypothèse d’une bombe à retardement est évoquée par un journal qui ne verse pas dans les titres à sensation en règle générale. La liste des bad banks constituées au fil de ces dernières années est à ce sujet éloquente : elles ne sont pas uniquement irlandaise ou espagnole, mais également allemandes (WestLB et HRE) ou françaises (Société générale, Natixis) et franco-belge (Dexia, qui à elle seule contribue au quart du volume total de ces actifs douteux), confirmant que le problème est général et non pas réservé aux systèmes bancaires nationaux les plus exposés à des bulles immobilières.
Quel sera le sort de cette masse d’actifs ? Certains pourront retrouver leurs couleurs ou plus généralement être cédés à perte, d’autres resteront collés au bilan des bad banks, qui devront être recapitalisées pour éponger leurs pertes. Le processus a comme intérêt de repousser au plus tard possible cette dernière étape, néanmoins inévitable. Une fois identifiées, leur masse évaluée, ces pertes potentielles éclairent d’un jour nouveau les débats actuels autour de l’union bancaire. Il n’est pas question du renflouement accidentel et quasiment anodin de tel ou tel établissement bancaire, mais d’un problème beaucoup plus ample. Car aux pertes potentielles des bad banks s’ajoute tout ce que l’examen des bilans bancaire va révéler (ou continuer à dissimuler) et qui est susceptible de déstabiliser plus qu’il ne l’est déjà le système bancaire.
Quel est en réalité le choix qui se profile, que les débats en cours n’explicitent pas ? Il n’y a à terme que deux solutions : soit les États porteront la charge financière de ces pertes, soit le système financier risquera de s’écrouler si les créanciers et gros déposants sont fortement impliqués, car les banques sont débitrices ou créditrices entre elles. On croit dans ces conditions deviner par avance la tournure que ces discussions prennent – le recours aux finances publiques – avec la circonstance aggravante d’une absence de mutualisation de la dette entre les États, ou de son plafonnement si le MES intervient. Ce qui aura comme conséquence d’amplifier les déséquilibres au sein de la zone euro, d’augmenter la dette publique et d’alourdir la charge du désendettement, avec comme seule solution de rallonger encore son calendrier déjà étiré. Ou bien même de rendre insolvables des États, avec comme seule issue de restructurer leur dette. En prenant leurs distances avec le FMI, qui le souligne avec l’exemple de la Grèce, les autorités européennes se voilent la face une fois de plus. Telle est la dynamique dans laquelle nous nous trouvons, si rien ne vient l’interrompre.