L'actualité de demain : QUAND LE CHOIX DEVIENT CORNÉLIEN ! par François Leclerc

Billet invité.

Ben Bernanke, le président de la Fed, s’interroge désormais à haute voix à propos du programme d’achats de titres de 85 milliards de dollars mensuel (QE 3, pour quantitative easing, assouplissement quantitatif), laissant planer la menace de la fin de la récrée ! La Fed ne peut en effet indéfiniment la poursuivre. Mais comment procéder sans faire de casse ? Sa prochaine réunion des 18 et du 19 juin est donc attendue afin d’avoir des précisions sur ses intentions.

Evoquée à titre de ballon d’essai, la simple évocation de la fin des largesses de la Fed a immédiatement inquiété ces grands sensibles que sont les marchés, qui l’ont fait sentir sur les places boursières, faisant en particulier grimper l’indice de volatilité. Présentée par les commentateurs comme étant un processus graduel et étalé dans le temps, elle aurait néanmoins tout du sevrage. Bien qu’une diminution des achats mensuels de la banque centrale ne serait pas pour autant une réduction de la liquidité injectée par la Fed, tout juste une croissance moins rapide de son volume ! Cela mesure combien la banque centrale est à la source de l’euphorie qui a gagné les milieux financiers – faisant contraste avec l’état de l’économie – dont elle pourrait sonner la fin en cessant progressivement d’alimenter sa manne. Cela suscite aussi une interrogation sur l’avenir du découplage économique entre les États-Unis et l’Europe (exprimé par leurs taux de croissances réciproques), la cause de celui-ci étant présentée comme le reflet de la politique monétaire actuelle de la Fed, par opposition à celle de la BCE.

On assiste à un effritement des indices boursiers (une chute au Japon), les marchés obligataires et d’action simultanément touchés, contrairement à l’habitude où les capitaux se déplacent simplement d’un marché à l’autre. Si les baisses boursières peuvent être analysées en perspective comme étant une correction, vu les hausses précédentes, la hausse des taux obligataires des bons du Trésor américain est plus préoccupante. Que la Fed adopte une stratégie de sortie est donc un grand sujet de discussion aux États-Unis, où les réactions des marchés sont scrutées et où l’on cherche à les prévoir.

En raison de ses achats massifs, la Fed joue un rôle déterminant sur le marché de la dette américaine. Si elle les ralentissait, un signal serait donné aux investisseurs qui en détiennent, car la hausse des taux qui se confirmerait alors aurait pour conséquence une baisse accentuée de la valeur des titres de la dette, dont il faudrait par avance se débarrasser d’urgence, la faiblesse de la demande qui en résulterait aboutissant à une nouvelle hausse des taux… Une très mauvaise pioche.

La déstabilisation du marché de la dette américaine serait la pire chose qui puisse arriver. Déjà que le Japon n’a pas pris le chemin d’au moins diminuer la progression de la sienne, pour ne pas parler des avatars du processus de désendettement européen. On n’a pas fini de parler de l’endettement en le situant non pas dans son seul contexte européen, mais comme un phénomène touchant l’ensemble des pays développés et appelant de ce point de vue, en dépit des différences d’une région ou d’un pays à l’autre, à des solutions d’ensemble jamais évoquées.

Prise entre des impératifs contradictoires – cesser d’alimenter une nouvelle bulle financière, ou maitriser le taux de la dette américaine tout en baissant la valeur du dollar pour favoriser les exportations – la Fed ne peut qu’agir lentement et par tâtonnement, d’autant que son premier test de communication a conforté la sensibilité présumée du marché. Mais, en même temps, le système financier prospère grâce aux banques centrales à tel point que cela pourrait en devenir menaçant. L’abondance des liquidités fait oublier le risque aux investisseurs et produit un effet déstabilisant pour les pays émergents ; l’entrée dans la danse de la Banque du Japon accroit ces dangers.

Aux dernières nouvelles, le chemin d’une lente décélération est prudemment emprunté.