Billet invité
Qui va payer pour cette crise ? La question semblait entendue, puis les cartes se sont brouillées. Au départ, ce n’était pas les banques, pour désigner la face visible du système financier, mais les États, c’est-à-dire les citoyens. Puis c’est devenu plus compliqué, car il a fallu en convenir : la stratégie de désendettement européenne ne donne pas de résultats particulièrement brillants…
Les signaux tournant autour de cette même interrogation – qui va payer ? – se sont multipliés. La crise grecque, puis la crise chypriote ont été l’occasion de deux inflexions : la première en engageant une restructuration de la dette publique, la seconde en impliquant dans un sauvetage les actionnaires et les créanciers de deux banques. À chaque fois, le même discours a été tenu : « cela ne recommencera pas ! ». Dans le cas de la Grèce, qui est de ce point de vue emblématique, le contraire est d’ores et déjà certain, et dans celui de la participation des créanciers aux sauvetages bancaires, l’Espagne l’avait discrètement devancé en vendant à près d’un million de familles pour 30 milliards d’euros des « preferentes », ces titres dont la valeur s’est ensuite effondrée.
Un autre discours n’a pas tenu la route aussi bien qu’espéré, et c’est l’Espagne qui en a porté la responsabilité. Présenté comme étant à l’origine de tous les maux, ce n’est pas l’endettement de l’État qui y est en cause mais celui des banques, à l’origine de l’éclatement de la gigantesque bulle immobilière sur laquelle était fondée le miracle espagnol. La santé des banques fait d’ailleurs de nouveau question à l’échelle européenne, à voir les effets de leur désendettement sur le crédit, ou bien en suscitant ouvertement et officiellement des suspicions sur la valorisation des actifs qu’elles détiennent. Destinée à enfin examiner sous cet angle leurs bilans, une nouvelle opération vérité est annoncée dont l’avenir dira ce qu’elle révélera !
La politique suivie avec opiniâtreté par le gouvernement allemand peut également être considérée sous cet angle. Quel que soit le sujet – dotation financière du Mécanisme européen de stabilité (MES) ou troisième volet de l’union bancaire (le fonds de renflouement des banques), qui a disparu – il n’a eu de cesse d’amoindrir les moyens mis sur la table et donc son propre engagement. L’examen du programme OMT de la BCE par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe correspond à un refus de se laisser entraîner sur une pente financière glissante par un organisme dont l’indépendance a pour effet qu’aucun contrôle démocratique ne s’exerce sur lui.
Comme déjà évoqué, tout semble indiquer que le gouvernement allemand a déjà acquis la conviction qu’au moins une partie de l’aide financière à laquelle il s’est engagé via le FESF ou le MES est à fonds perdu, avec pour corollaire la nécessité de limiter les pertes en contenant les engagements. Que ce soit ceux de l’État ou ceux des banques du pays, car il n’est plus question de les laisser elles aussi entraînées dans une participation au fond de renflouement européen. La politique actuelle de rééchelonnement du remboursement des dettes contractées à l’occasion des opérations de sauvetage permet simplement de repousser la reconnaissance des pertes à plus tard.
Poursuivie jusqu’au bout, la logique du sauvetage de la zone euro implique le partage du fardeau de l’endettement. Sans pouvoir en préserver les créanciers privés et sans être en mesure d’éviter en son sein une mutualisation entre États. Au lieu d’intervenir au début, ce partage a été simplement repoussé au plus tard possible ! Ce qui revient à l’improviser au lieu de l’organiser, un calcul très hasardeux. D’autant qu’il plonge entre temps la zone euro dans la récession et accentue les tendances centrifuges en son sein, au risque prononcé de le rendre faux. Il est à l’origine d’une crise sociale que l’on n’aurait jamais pu imaginer et met des pays entiers à genoux, dont on se demande comment et à quel prix ils pourront un jour se relever. Cela prend la forme du sacrifice d’une génération toute entière promise à un dramatique chômage.
La dimension politique de la crise se révèle, toute autant porteuse d’inconnues. Elle emprunte des formes différentes suivant les pays, qui toutes renvoient à la même impasse : la démission devant la logique non maitrisée de la financiarisation et de la perte d’équilibre d’un système qui entraîne tout avec lui dans sa débâcle. Grande réussite : la crise s’est élargie à de nouvelles dimensions sans pour autant avoir été réglée là où elle est née, au cœur du système financier.
Déjà confrontés à l’émergence de nouvelles puissances économiques sans savoir y apporter une réponse, si ce n’est l’illusoire concurrence sur le terrain de la compétitivité, les dirigeants européens ont choisi une ligne de très mauvaise pente sur laquelle ils glissent eux-mêmes. En attendant, le FMI vient de mettre en garde à propos du Portugal et de l’accomplissement de ses objectifs. Entre lui et le gouvernement allemand, le torchon brûle, relayé publiquement par le directeur du MES et le président de la Commission européenne. La Troïka est mise en question et avec elle la participation du FMI à de nouvelles opérations…