Billet invité
Depuis que 14 banques ont été citées à comparaître aux États-Unis (dont la Société Générale et la Deutsche Bank) dans le cadre de manipulations du Libor (London Interbank Offered Rate), et que UBS, RBS et Barclays ont déjà été condamnées à de lourdes amendes, on s’attend à tout. Surtout que l’on a ensuite appris que ses petits frères Euribor, Tibor (Japon) et Sibor (Singapour) pourraient avoir connu pareille mésaventure.
Leur intérêt éveillé, les autorités de marché se sont depuis dit que d’autres indices méritaient leur attention et qu’il n’y avait pas de raison de s’arrêter en si bon chemin. Et elles ont élargi leurs investigations au Dated Brent de Platts (pétrole), NBP d’Icis (gaz), au fixing de l’or et à celui de l’argent à Londres, ainsi, pour faire bonne mesure, qu’au NDF de Singapour (changes). À se demander si la tricherie n’est pas générale.
La CFTC américaine et le FCA britannique enquêtent désormais aussi sur l’ISDAfix, le taux de référence des swaps de taux d’intérêt, créé par l’International swaps and derivatives association, dont le montant notionnel est de 80.500 milliards de dollars d’après TriOptima, une filiale de la société de courtage britannique Icap. Cela fait beaucoup de suspicions et d’enquêtes dont on attend les résultats.
Entre-temps, dans le cas du Libor où les faits sont établis, rien n’a changé et le système qui a montré ses faiblesses continue d’être en vigueur faute de pouvoir être remplacé. Or, 270.000 milliards d’euros de titres financiers sont adossés au Libor ! Que penser de sa valeur, peut-on désormais légitimement se demander ? Cela ne peut durer ainsi, car un tel doute fragilise tout le système financier et pourrait justifier des actions en justice. On conçoit que cela n’a pas été le cas, car cela aboutirait à ouvrir la boîte de Pandore. Et qu’un mauvais indice est préférable à pas d’indice du tout, vu les conséquences dévastatrices que cela aurait.
Un compromis bancal entre les régulateurs américains et britanniques a donc finalement été passé. Le panel précédent pourrait être remplacé par une formule reposant comme actuellement sur un mélange de données estimatives fournies par les banques (pour satisfaire les Britanniques), et d’autres résultant de transactions enregistrées (comme les Américains le demandaient). Le principe de l’auto-régulation serait préservé, quoique écorné.
L’affaire du Libor n’est pas finie, à moins qu’elle ne soit enterrée, une révélation chassant l’autre, la dernière en date étant l’optimisation fiscale des entreprises transnationales. Mais elle éclaire sous un jour terrible l’activité financière, puisqu’il a été montré que quelques grandes banques avaient le pouvoir d’orienter au gré de leurs intérêts la valeur du plus utilisé de tous les indices financiers. En tout état de cause, cela ne pourra pas être oublié.
Dernière minute : dans un effort d’assainissement, la Commission européenne va proposer de confier à l’ESMA (European securities and markets authority) la supervision directe du Libor et de l’Euribor, et indirecte, via les régulateurs nationaux, de centaines d’indices auto-régulés utilisés dans tous les domaines de l’activité financière.