Billet invité.
L’histoire que nous vivons nous est désormais promise comme allant durer dix ans, mais nous n’en savons pas beaucoup plus à son sujet, si ce n’est que cela ne présage rien de bon. Mais pourquoi donc dix ans ? C’est tout simplement le nombre d’années estimé aujourd’hui nécessaires pour mener à bien le désendettement et revoir le jour. De quoi devraient-elles donc être faites, si on comprend bien ?
Forcé et contraint, il a fallu revenir sur les illusions du départ, car tout ne s’est pas passé comme prévu : ni les États, ni les banques ne sont parvenus à se désendetter aussi aisément qu’attendu. Le constat est flagrant pour les premiers – même s’il n’est pas publiquement reconnu – et toujours soigneusement caché pour les secondes. Sans espoir que les futurs nouveaux examens des bilans bancaires menés par l’EBA, puis par la BCE (pour les plus importantes banques uniquement), aboutisse cette fois-ci à une véritable opération vérité. Car celle-ci ne pourrait avoir lieu que si un mécanisme de recapitalisation collective était au point et pouvait être enclenché.
Nous n’y sommes pas, comme les désaccords persistants sur l’union bancaire l’illustrent, laissant chaque État avec ses banques sur les bras. La crise chypriote a été l’occasion d’expérimenter la solution du bail-in, dans le but d’adoucir la charge financière qu’ils devront assumer et de conforter leur solvabilité future, afin de crédibiliser le remboursement des prêts. Mais ce sera de moindre portée que prévu, car il est mis la pédale douce sur l’implication des créanciers : ce sont souvent d’autres banques et les mettre à contribution ne ferait que propager l’insolvabilité des banques restructurées… La solution par défaut reste donc toujours de charger la barque des États, ce qui renvoie à la problématique de leur désendettement en l’alourdissant à nouveau.
Il faut donc donner du temps aux banques – on va dire dix ans, au doigt mouillé – pour qu’elles puissent se refaire au casino financier. A condition toutefois que celui-ci ne nous fasse pas une rechute. Cela implique d’écarter tout obstacle trop gênant au bon fonctionnement de ce processus et que soient prises des décisions encore en instance : poursuite de l’assouplissement de la réglementation Bâle III sur les normes de liquidité, élargissement de l’éligibilité aux fonds propres des obligations convertibles, maintien des taux proches de zéro de la BCE. Dans le même esprit, l’assiette de la taxe sur les transactions financières pourrait également être reconfigurée, comme le demande la BCE.
Comme il n’était plus possible de l’éviter, il a également fallu accorder du temps aux États afin qu’ils remplissent leurs objectifs de désendettement. L’étalement du remboursement des prêts, éventuellement combiné avec la diminution de leur taux, s’est imposé pour les mêmes raisons. Poursuivie comme c’est probable, cette voie aboutira à pratiquer sans le dire une forme masquée de mutualisation de la dette, le Mécanisme européen de stabilité (MES) délivrant des euro-obligations ne disant pas leur nom et qui ne seront pas nécessairement remboursées… Car le remboursement de ces prêts reste hypothétique dans un contexte de poursuite de la récession, ce qui explique que le FMI – qui ne veut pas entendre parler d’une telle éventualité le concernant – pourrait ne pas participer aux prochaines opérations de sauvetage pour ne pas le risquer. On en cause…
Tout va être fait pour éviter de nouvelles restructurations de la dette publique (à l’exception de la Grèce où elle est dans les tuyaux), parce qu’elles auraient pour conséquence de déstabiliser le système bancaire : la dette souveraine est au bilan de ces établissements un point d’appui à son effet levier dont il ne peut se passer. Imposer une décote créerait la nécessité de renforcer les fonds propres, ce qu’elles essayent au contraire de minorer en manipulant la valorisation de leurs actifs. Pour protéger les banques, il faut donc charger les États, on connait la chanson !
Comme ce n’est néanmoins pas totalement à exclure, le FMI poursuit ses réflexions engagées de longue date à propos de la définition d’un cadre international dans lequel une restructuration pourrait dans l’avenir intervenir. Pour faire simple, deux possibilités existent ; soit la généralisation des clauses d’action collective (CAC) qui permettent, une fois une majorité qualifiée donnée l’acceptant, d’imposer à tous les créanciers une décote, soit un mécanisme international plus élaboré dans le moule juridique duquel tout restructuration devrait être opérée. Il pourrait impliquer des engagements du débiteur à propos de sa solvabilité future, ce qui renvoie au mécanisme des plans de sauvetage actuels. Avec comme écueil, dans les deux cas, que les créanciers vont exiger une prime de risque supplémentaire pour se couvrir, ce qui aboutira à augmenter les taux de la dette souveraine.
La décision des juges américains à propos de la restructuration de la dette argentine, si elle devait être confirmée en appel, créerait une jurisprudence remettant en cause les clauses d’action collective, ce mécanisme qui a été mis en avant pour éviter la mise en œuvre des autres projets du FMI, car ils sont considérés comme pouvant ouvrir davantage la porte aux restructurations.
Voilà comment s’annonce la poursuite de la version européenne de la crise de la dette. Les États font toujours les frais des mécanismes du désendettement pour préserver le système financier. Ces mécanismes sont assortis d’un programme de mesures destinées à leur financement, faussement présentées comme condition du retour de la croissance. Cette très mauvaise farce durera-t-elle dix ans ?