L'actualité de demain : AUX PIEDS DU GRAND TABOU, par François Leclerc

Billet invité.

Une restructuration de la dette, sujet pourtant tabou parmi les tabous, est de plus en plus souvent évoquée. Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe, l’envisage clairement à nouveau pour la Grèce, avec l’été 2014 comme date butoir pour décider de la forme qu’elle prendra. Ce sont l’Union européenne, la BCE et le FMI qui seront en première ligne, désormais détenteurs de la dette grecque, et qui devront en assumer les conséquences d’une manière ou d’une autre. Ce sera la troisième restructuration, les deux précédentes ayant permis d’effacer plus de 130 milliards d’euros de dette, et la réduisant à 156,9% du PIB. Mais elle pourrait atteindre 175% en 2013, pour ne plus augmenter si la Grèce parvient à dégager un excédent primaire (hors service de la dette) à force de coupes budgétaires. C’est d’ailleurs la condition mise à une nouvelle restructuration qui, dans ces conditions, pourrait prendre la forme d’un rééchelonnement de remboursement.

Une toute autre restructuration, dont l’origine date de 2001, vient de donner l’occasion au FMI d’exprimer ses inquiétudes. Un fond vautour qui continue de réclamer à l’Argentine l’intégralité du remboursement des titres qu’il détient, malgré l’accord trouvé avec la majorité qualifiée des créditeurs pour une décote de près de 70%, a obtenu gain de cause auprès d’un tribunal américain, dont la décision est en appel. Si la décision devait être validée, cela rendrait toute restructuration de la dette impossible, puisque les créanciers seraient selon cette jurisprudence garantis d’être remboursés intégralement. Le défaut sur la dette deviendrait juridiquement impossible ! Tirant les leçons, le FMI s’interroge sur les « nouvelles voies » qui pourraient être empruntées pour que ses aides aux pays en difficulté ne servent pas en priorité à rembourser les créanciers privés…

Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, vient également d’intervenir sur ce sujet au cours d’une conférence organisée conjointement avec la Banque de France, mais avec un point de vue opposé : « À long terme, nous devons faire en sorte qu’un État puisse, en dernier ressort, faire faillite » a-t-il déclaré. « Avec la crise, nous avons fait très attention à éviter les risques de défaut », a-t-il rappelé, mais cette possibilité doit exister, « élément clé » de la discipline des marchés. Ajoutant « C’est pour cela que nous travaillons au fait de découpler les États et les systèmes bancaires ». Ce qui permet de comprendre que c’est « à long terme » qu’un défaut serait envisageable, le temps de mettre en place tout le dispositif proposé par le gouvernement allemand, dont le renflouement des banques est une des dernières pierres…

Le président de la Bundesbank avait-il lu le nouvel article de Kenneth Rogoff, suite aux dernières déconvenues académiques de celui-ci ? L’honorable professeur considère qu’il n’y a pas de solution magique à rechercher dans la dépense publique et qu’il n’y aura pas de résolution de la crise européenne sans une annulation de la dette des pays de l’Europe du Sud. Par voie de conséquence, les banques du Nord de l’Europe devront être renflouées, à raison selon lui de centaines de milliards d’euros, ce qui impliquera, une fois les actionnaires et créanciers mis à contribution, l’injection massive de capitaux publics. « Ces centaines de milliards d’euros sont déjà perdus et le jeu qui consiste à prétendre le contraire ne peut pas se poursuivre indéfiniment », conclut-il. Il en résultera, prédit-il, un accroissement de la dette allemande, mais « plus tôt la réalité sous-jacente sera rendue transparente et largement reconnue, moins le coût sera dans le long terme élevé ».

On avance ! Prolongeant cette analyse, il ne se pose plus qu’une anodine question : où les États trouveront-ils les fonds permettant de renflouer le système bancaire européen et qu’adviendra-t-il ensuite de celui-ci ?