Billet invité.
Pierre Moscovici, le ministre de l’économie et des finances français, s’y est pris à deux fois pour saluer la décision de la Commission d’accorder deux ans de plus à la France pour réduire à 3% le taux de son déficit. « C’est la fin du dogme de l’austérité, il n’y a plus de nombre fétiche » a-t-il d’abord déclaré, avant d’ajouter le lendemain : « il n’est pas question de réduire nos efforts pour couper nos dépenses ».
François Hollande a de son côté souligné que « c’est une nouvelle importante, parce qu’elle vient consacrer ce que la France a demandé depuis un an, c’est-à-dire que l’on mette la croissance au premier rang de nos priorités ». Il a enchaîné en énumérant les domaines dans lesquels « cette souplesse, cette liberté » allait être utilisée pour faire preuve du « sérieux budgétaire indispensable » : la formation professionnelle, l’innovation, l’investissement et la réforme des retraites. Cette dernière présentée comme l’une des « réformes structurelles indispensables pour la croissance »…
Si tournant il y a, c’est dans le discours ! Car du côté de la Commission, les délais supplémentaires accordés à la France, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, les Pays-Bas, l’Irlande et la Slovénie (et instamment demandés en Italie) ne sont pas l’expression d’un changement de politique mais la reconnaissance que les objectifs assignés ne peuvent pas être atteints !
Enrico Letta, le président du conseil italien, a successivement rencontré (dans l’ordre) Angela Merkel, François Hollande, Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso – avant de rendre visite à Mariano Rajoy – puis en a rendu compte ainsi : « j’ai dit que l’Italie veut maintenir les engagements pris, mais nous ne pouvons pas accepter que l’Europe soit seulement coupes budgétaires, impôts et austérité ». Le flou reste cependant total sur ce qu’à la tête de son gouvernement de coalition il va être en mesure de mettre en œuvre. La situation politique reste très instable.
Dans toute l’Europe, la défiance s’est installée et ne va pas disparaître. Elle se manifeste dans chaque pays à sa façon mais atteint de la même manière les professionnels de la politique et du pouvoir. Un nouvel emballage de la même politique n’y changera rien. Le sentiment d’insécurité s’est élargi à de nombreux domaines au fur et à mesure que des scandales ont été dévoilés, faisant apparaitre que l’État ne joue pas le rôle qui lui est assigné, miné par les conflits d’intérêt et la corruption. Depuis celui du sang contaminé en France, la liste est désormais longue et ne cesse de s’allonger. Aux dangers manipulés de l’émigration, puis du terrorisme islamique, ont succédé les atteintes à la santé publique et à qualité de l’alimentation, puis dans un autre domaine la corruption et la fraude fiscale (pour cesser d’employer le terme d’évasion qui renvoie à l’idée de liberté). La chose est entendue : il y a leur cause et la nôtre ! c’est tout du moins ce qui est profondément ressenti et intériorisé, pour être quand l’occasion se présente, exprimé.
Que peut être attendu de cet assouplissement du calendrier de réduction du déficit ? Il peut être présenté comme s’appuyant sur le distinguo entre déficit structurel et conjoncturel, ce dernier se révélant plus important que prévu et justifiant des délais supplémentaires pour le réduire. Mais il y a un hic : le seul effet de la diminution du déficit structurel (dont le calcul peut faire l’objet de bien des variantes, puisqu’il est le solde du déficit global une fois éliminés tous les impacts de la conjoncture, et qu’il fait référence au potentiel de croissance dont le calcul est tout aussi problématique) se révèle trop lourd à supporter, entraînant la zone euro dans la récession et sur une pente clairement déflationniste, grossissant le déficit conjoncturel. Dans cette logique absurde, le déficit structurel sera éliminé mais le déficit conjoncturel prendra sa place, produisant exactement les mêmes effets et impliquant soit l’éclatement de la zone euro, soit la poursuite ad vitam aeternam de la même politique, en attendant Godot c’est à dire la croissance !
Gagner du temps ne permettra pas de résoudre une équation mal posée dont les variables sont calculées au doigt mouillé et les constantes fixées arbitrairement. La dévalorisation de la parole publique va s’accentuer, l’absence de repères, de points d’appui, va se faire durement sentir. Mais n’est-ce pas dans de telles circonstances qu’ils apparaissent ?