Billet invité.
La récession s’approfondit en Europe constate la Commission dans son dernier rapport, prétendant dans un même élan qu’elle « se remet lentement d’une longue récession ». « Le rééquilibrage est en cours », a affirmé Olli Rehn, sans plus d’éléments pour le justifier. Un tout autre éclairage était toutefois dernièrement donné, à l’occasion d’une table-ronde de financiers organisée par l’Agefi (une agence d’information spécialisée), dont le compte-rendu a été publié sous le titre « Les pressions sont clairement déflationnistes en zone euro ». Car la Commission a préféré ne pas faire référence à la dégringolade du taux de l’inflation, descendu à 1,2% en avril et désormais nettement en dessous de l’objectif de 2%.
La BCE affecte aussi de l’ignorer, ayant d’autres soucis plus immédiats. Elle est à la recherche d’un troisième pilier afin de soutenir une situation qui lui échappe. Encensée pour être parvenue à contenir la crise de liquidité des banques et à stabiliser le marché obligataire avec ses programmes LTRO et OMT, elle est démunie devant ce qu’elle appelle dans son jargon la rupture des mécanismes de transmission monétaire. Ce que d’autres décrivent plus prosaïquement en évoquant le sort de ces liquidités dont elle abreuve les banques mais qui ne descendent pas dans l’économie. Comment inciter les banques à relancer le crédit, voilà toute l’affaire.
L’adoption d’un taux négatif pour les dépôts des banques a été évoquée par Mario Draghi, une mesure qui reviendrait à faire payer à celles-ci l’utilisation du coffre-fort de la BCE, afin de les inciter à ne pas l’utiliser et à développer le crédit. Car les banques abusent de cette facilité afin de mettre à l’abri les fonds dont elles disposent plutôt que de les risquer en les prêtant. Plus ambitieux et aléatoire, les conditions d’une relance de la titrisation sont étudiées. Celle-ci aurait également pour objet d’inciter les banques à développer le crédit, en leur permettant d’évacuer le risque afférent. Qui pourrait l’assumer ? il est notamment question de la Banque européenne d’investissement, qui dispose d’un accès aux guichets de la BCE pour se financer. Mais, au bout du compte, la BCE est pour l’instant restée l’arme au pied. Faute de crédit bancaire abondant, ou d’investissement public, la croissance tant espérée n’est pas au rendez-vous. Qui y croit encore aujourd’hui ? La messe est dite, confirmant ce que ne cessent de répéter les banquiers centraux : « nous ne pouvons pas tout faire ! ». Ces derniers seront un jour ou l’autre confrontés à un autre problème, qui les attend au tournant. Il est bien beau d’engager des programmes de création monétaire classique (ou sui generis dans le cas de la BCE), mais encore faut-il pouvoir les arrêter ! Il est loin le temps où Ben Bernanke lançait des opérations-test destinées à prouver que la Fed serait plus tard en mesure d’éponger les liquidités distribuées avec largesse…
Les banques centrales se substituent donc au marché et les analystes déplorent les distorsions de celui-ci qui en résultent. La BCE occupe une place prépondérante au sein du marché interbancaire, pour ne pas dire qu’elle s’y substitue. Vivien Lévy-Garboua, de BNP Paribas, l’explique sans ambages : « Le marché interbancaire est mort. Les banques ne se prêteront plus entre elles parce qu’elles n’ont plus aucun intérêt à le faire. Mieux vaut passer par la case ‘banque centrale’ moins chère et pas plus coûteuse en termes de garanties recherchées ». Les banques centrales jouent donc un rôle de plus en plus déterminant dans la stabilisation de la crise, mais ne sont-elles pas scotchées à leurs propres programmes qu’elles ne peuvent arrêter ? Cela aurait deux conséquences contradictoires : la première, de faire croire en une stabilisation possible sous leurs auspices, la seconde, de créer les conditions pour que celle-ci soit impossible, en raison de la nouvelle bulle financière qui enfle déjà !
Combattre une crise de solvabilité en distribuant de la liquidité permet de masquer le problème mais ne le règle pas. On en revient à ce qui n’aurait jamais du être écarté : les banques doivent être recapitalisées ou bien fermées ; le système financier doit être sévèrement retaillé et recadré ; le casino doit être fermé. En Europe, la question des fonds propres des banques refait surface sous la forme d’une tentative de relance de l’union bancaire par le Commissaire Michel Barnier et les gouvernements espagnol, français et italien ; aux États-Unis, un débat a été relancé sur la recapitalisation des banques, à l’initiative de deux élus – Sherrod Brown, un démocrate de l’Ohio, et David Vitter , un républicain de la Louisiane – qui préconisent l’adoption d’un taux réglementaire de 15% pour mesurer le rapport fonds propres/engagements. Leur proposition de loi s’inscrit à la suite des remarques définitives d’Andy Haldane (Banque d’Angleterre) à propos des méthodes d’évaluation des actifs utilisées par les banques sur lesquelles s’appuie la réglementation Bâle III. Où placer le curseur, si cette évaluation est par définition sujette à caution, si ce n’est plus haut, bien plus haut que prévu ? Aux États-Unis, Sheila Bair (ex FDIC) et Paul Volcker (ex Fed) font activement campagne au nom du Systemic Risk Council du think-tank Pew afin qu’il soit fortement augmenté : Tom Hoenig, le vice-président du FDIC, est intervenu également en ce sens.
Mais Goldman Sachs a immédiatement fait barrage en calculant les conséquences du projet de loi des deux membres du Congrès. Forcer les banques dont le bilan dépasse 500 milliards de dollars à atteindre le taux de 15% de fonds propres – comme il est proposé – reviendrait à leur demander de lever 1.200 milliards de dollars de capitaux, soit l’équivalent de 15 ans de redistributions de dividendes, ce qui ne permettrait pas de rétribuer les investisseurs qui ne viendraient donc pas, selon la banque d’affaires. Le lobbying des grandes banques est intense dans les allées du Congrès afin d’empêcher que le projet de loi ne soit déposé sur le bureau du Congrès, tandis que les petites banques américaines – qui estiment subir une concurrence déloyale des grandes – soutiennent un tel renforcement de la réglementation. La Fed a toutefois dans ce domaine le pouvoir de réglementation, sans dépendre du Congrès… À suivre…