Billet invité
L’affaire du Libor n’est pas du tout terminée ! Elle n’est pas seulement exemplaire en raison des manipulations auxquelles son calcul a donné lieu, dont la découverte a éclairé des pratiques frauduleuses touchant à l’indice de référence de 350.000 milliards de dollars de contrats en tous genres, au cœur du système financier. Elle l’est également à propos de la suite qui va lui être donnée.
Des enquêtes sont en cours pour savoir si d’autres banques n’ont pas participé à la tricherie, notamment la Deutsche Bank, mais surtout les discussions se poursuivent sans résultat à propos d’un nouveau mode de fixation de l’indice. Car vu le choc créé par ces révélations dans les milieux financiers bien pensants, il n’est ni concevable de continuer comme avant, ni de substituer un nouveau mode opératoire qui ne soit au dessus de tout soupçon. Le Libor et ses petits frères Euribor et Tibor doivent être les indices de référence béton qu’ils n’auraient jamais du cesser d’être !
C’est là que les difficultés commencent. Le bon sens voudrait que le Libor soit fixé sur la base des transactions réelles sur le marché interbancaire, mais cela supposerait que celles-ci, actuellement effectuées de gré à gré, utilisent un système informatique de collecte des données et qu’elles soient enregistrées centralement, donnant sur les banques des informations inédites, créant de la transparence sur un marché qui n’en a pas. En Europe, cela supposerait aussi que celui-ci fonctionne normalement, ce qui est loin d’être le cas. Une telle perspective avait été dessinée par le rapport Weathley (qui comptait alors parmi les dirigeants de la Financial Services Authority britannique, laquelle a depuis été scindée en deux entités) de septembre dernier, mais elle suscite de fortes réactions négatives et seul le BBSW australien (équivalent du Libor) a sauté le pas à ce jour, sous les auspices de l’Association des marchés financiers australienne (Afma).
Une task force américano-britannique a été créée, co-dirigée par Martin Weathley (désormais dirigeant de la Financial Conduct Authority) et Gary Gensler (de la Commodity Futures Trading Commission), afin de prendre en main la question. Tout en préconisant comme perspective l’arrêt du déclaratif par les banques des taux auxquels elles empruntent entre elles sur le marché, sur lequel repose toujours la fixation du Libor, elle a inventorié l’utilisation d’autres indices et taux, à l’instigation de la Banque des règlements internationaux. La task force a en effet élargi sa réflexion à l’ensemble des indices financiers de base, échaudée par la manipulation du Libor. Mais aucune solution de substitution par un indice existant n’est apparue adaptée, ce qui aurait bien arrangé les choses, chacun d’entre eux étant conçu en fonction de son marché spécifique. Le bras de fer avec les banques se poursuit donc.
Une autre difficulté – fort instructive – est apparue : calculer le taux du Libor en s’appuyant sur le transactionnel enregistré pose problème pour les maturités de 3 à 6 mois, car il n’y a pas assez de volume pour celles-ci, de liquidité disent les financiers. Pourtant le Libor 3 mois est utilisé dans 60 % des contrats et le Libor 6 mois dans 34 % d’entre eux, ce qui revient à dire que ces deux taux sont calculés au doigt mouillé, sans base de référence suffisamment large ! Singulier éclairage qui nous est offert, dans un monde présenté comme réglé comme une montre.
Qu’est-ce qu’un système financier dont le taux, auquel obéit un tel volume de contrats, est au choix si sujet à caution ou si impossible à établir ? Le constat est établi : la machine à faire de la dette fonctionne sur la base de taux ayant été établis au gré des intérêts de ses principaux bénéficiaires. Elle est rebelle à la transparence que procurerait la centralisation des données du marché interbancaire, l’une de ses parts d’ombre. Car aucune banque n’apprécie que l’on sache qu’elle doit emprunter à des conditions moins favorables, ce qui est rarement signe de bonne santé. Établir le Libor sur la base des transactions serait stigmatisant.