Billet invité.
Serait-ce la venue de premiers craquements annonciateurs ? Des signes peuvent le faire penser. Dans un premier temps, isolés, des iconoclastes relevaient ici et là le gant, mais sans plus d’effet; désormais des alarmes sont sonnées. Le parlement européen met sous pression la BCE pour qu’elle intervienne sans attendre, et le FMI s’inquiète tout autant que celle-ci de la situation des banques et des entreprises dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler la périphérie de l’Europe (traduire : celle qui pourrait sortir de l’euro). Mais celle-ci en vient à englober l’Espagne et l’Italie, à quoi va à ce rythme se réduire le centre ?
Après avoir été évacuée comme quantité négligeable, la dette privée revient au premier plan. Et la « dynamique vertueuse » créée par la BCE avec son programme OMT est en train de s’essouffler. Problème : elle ne dispose pas dans sa boîte à outils d’autres instruments d’intervention et cherche à agir via la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Le désendettement coince aussi bien côté public que privé. La Banque d’Espagne vient d’être prise la main dans le sac pour avoir fermé les yeux sur des manipulations des cours des obligations « préférentielles » de Bankia. Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, a reconnu dans une conférence qu’il y a « clairement une incertitude dans l’esprit de beaucoup de personnes sur le réel état des banques espagnoles » avant de précipitamment se rétracter. L’information a fuité en Italie, avant d’être démentie, que des juges avaient ordonné la saisie de 1,8 milliards d’euros auprès de la banque d’affaire mondiale japonaise Nomura, en relation avec les opérations douteuses de Monte dei Paschi di Siena. Enfin, Wolfgang Schäuble vient à son habitude jouer les trouble-fêtes en expliquant qu’une révision des traités européens serait selon lui nécessaire pour permettre la réalisation de l’union bancaire, le plus sûr moyen d’enterrer profondément le projet.
Mais cela dépasse le cadre européen. José Vinals, le directeur de la division marchés financiers du FMI, craint les « effets pervers » sur la stabilité financière mondiale des achats d’actifs des banques centrales et de leur taux très bas : prises de risque excessives, formation de bulles financières et relance de l’endettement. « Nous sommes, reconnaît-il, en territoire inconnu ». Janet Yellen, de la Fed, ne voit pour sa part « ni preuve généralisée d’une croissance rapide du crédit, ni accumulation marquée du levier financier, ni bulle spéculative importante susceptible de menacer la stabilité financière ». La clarté ne règne donc pas aux plus haut niveau.
Il a fallu quelques années pour convenir que le système bancaire n’allait pas si facilement se désendetter et que, dans certains cas, ce sont les actionnaires et les créanciers qui allaient devoir en faire les frais. Combien de temps va-t-il encore falloir pour admettre que le désendettement des États tel qu’il est imposé crée plus de problèmes qu’il n’en résout ?
Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, annonce qu’une décennie sombre se présente (« Surmonter la crise et les effets de la crise restera un défi au cours de la décennie qui vient »), et Mario Draghi que les banques centrales ne peuvent pas tout faire. C’est pourtant vers elles que se tournent ceux qui ne conçoivent pas qu’il est temps de remettre le monde financier à sa place, et qui fondent tous leurs espoirs sur une miraculeuse intervention dans la foulée des autres banques centrales occidentales qui ont ouvert les vannes de la création monétaire.
Christine Lagarde, bravant le ridicule, en vient à magnifier ces « héros de la crise » que sont selon elle les banquiers centraux, reléguant par la même occasion les chefs d’État et de gouvernement, sans voir qu’ils sont eux aussi fatigués. C’est sous ces auspices que va s’ouvrir demain jeudi une énième réunion internationale, un G20 finances à Washington, dont il ne sortira rien.