L'actualité de demain : LES RISQUE-TOUT A L'OUVRAGE, par François Leclerc,

Billet invité.

On reconnait les vrais dirigeants politiques à leur capacité à prétendre qu’ils ne sont pour rien dans les mauvaises nouvelles et à en attribuer la responsabilité aux autres. Cela se confirme une fois de plus à l’occasion du tollé créé par l’annonce de la taxation des dépôts dans les banques chypriotes.

Seule Moscou s’insurge contre le sort réservé aux déposants étrangers, les autres regrettant au contraire que les Chypriotes, dont ils se font désormais les protecteurs, soient frappés. La BCE, le ministre français des finances Pierre Moscovici, le porte-parole d’Angela Merkel en reportent les uns après les autres la responsabilité sur le gouvernement chypriote, de qui il est seulement maintenant exigé qu’il respecte l’enveloppe globale de 5,8 milliards d’euros que la taxe doit rapporter, quelle que soit la formule retenue. Après l’avoir pourtant formellement imposée.

Une téléconférence aura lieu lundi en fin d’après-midi, le parlement devrait se réunir mardi et les banques rester fermées jusqu’à jeudi matin. C’est tout du moins le calendrier actuel dans une situation qui reste très fluide. Mais la question n’est pas seulement de savoir quel plan va finalement être proposé pour ratification au parlement chypriote, et s’il va être adopté. Elle est également de connaître la suite. Un coup fatal a en effet été porté à un secteur bancaire chypriote hypertrophié (ce en quoi il ne prétend pas à l’originalité) : les dépôts représentent 4 fois le PIB de Chypre, ne parlons pas des fonds propres ! Et les déposants ont perdu leur confiance en celui-ci, ce qui ne pardonne pas dans les milieux financiers !

Des retraits massifs des banques sont inévitables, prioritairement des déposants russes qui en multiplient les signes avant-coureurs. La base de la prospérité chypriote est sapée, le pays va lui aussi entrer en récession. A la différence des autres pays du Sud de l’Europe, il aura auparavant financé une partie de son sauvetage. Mais le remboursement des dix milliards d’euros prêtés sera une autre affaire, qui ne seront toutefois libérés que par tranches successives, d’autres épisodes du sauvetage étant à prévoir.

Sans voir si loin, les banques chypriotes vont-elles supporter le choc qui les attend ? Les spéculations vont bon train sur les expositions des banques étrangères, dont les valeurs en bourse subissent le contre-coup. Les banques italiennes n’affichent qu’un milliard d’euros d’exposition et l’association des banques italiennes s’est dépêchée de l’annoncer. Mais c’est une autre affaire pour les banques russes, dont on dit qu’elles sont exposées à hauteur de 30 milliards de dollars. Ce qui lève un voile intéressant sur les petites cachoteries de la haute finance et les circuits qu’elle emprunte.

Ces prêts russes ont en effet permis aux banque chypriotes – qui abritent des capitaux russes d’origine douteuse ayant auparavant transité par des paradis fiscaux plus exotiques (ou bien luxembourgeois) – de tenir le coup suite à la restructuration de la dette grecque à laquelle elles étaient très exposées. Et les capitaux russes en question, une fois blanchis à la faveur de ce transit chypriote, sont quant à eux réinvestis ensuite en Russie : Chypre en est en effet l’un des principaux investisseurs… Les torchons et les serviettes se mélangent sans façon.

Les plans de sauvetage des dirigeants européens et du FMI sont de plus en plus des expédients qu’ils retiennent du bout des doigts. En voulant s’affranchir d’un risque, celui du défaut de Chypre, ils en créent deux autres : celui de l’effondrement des banques chypriotes et d’une ruée vers les guichets dans les pays de l’Europe du Sud.