Billet invité
Il y a dans toutes les têtes la même idée : le tour des Français va venir, après l’Italie ce sera celui de la France ! L’incertitude qui pèse sur les mesures que le gouvernement français annonce dans le désordre accrédite l’idée que c’est pour bientôt. À moins qu’un imprévu ne vienne contrarier cette longue et irrésistible glissade, une fois les saints de la croissance puis de la dévaluation de l’euro invoqués en pure perte, l’intervention de la BCE à la manière des autres banques centrales ne pouvant pas pour sa part être appelée plus explicitement qu’elle ne l’est déjà.
Il était déjà pressenti qu’il serait impossible d’échapper à une logique d’autant plus absurde qu’elle est suivie sous prétexte de salut, occasion rêvée en réalité pour appliquer un programme d’enfer. Pierre Gattaz, le président du Groupement des fédérations industrielles, réclame un « choc de compétitivité de 50 milliards d’euros » sur le coût du travail pour sauver l’industrie française, qu’il propose de financer par une augmentation de la TVA et de la contribution sociale généralisée (CSG).
Mais la situation italienne a ceci de particulier qu’elle montre que ceux qui cherchent à gagner du temps ne font qu’aggraver les choses. La dette publique du pays est énorme : 2.000 milliards d’euros, soit 127 % de son PIB. Sa maturité moyenne n’a cessé de se réduire, au fil de refinancements à court terme destinés à obtenir de faibles taux, avec pour conséquence que 400 milliards d’euros de dette devront être refinancés cette année. Dans ces conditions, si la surchauffe sur les taux se poursuit, l’incidence sur coût de la dette accentuera encore son inviabilité ! Or cette dette est disséminée dans tout le système bancaire européen, et en premier lieu allemand, français et italien (sans compter la BCE).
Faisant preuve d’une particulière clairvoyance, Jérôme Cahuzac, le ministre français du budget, vient de tirer la leçon des élections italiennes en prédisant que cela « ne va pas entraîner une nouvelle crise de l’euro », car « c’est une crise politique qui menace l’Italie pour des raisons institutionnelles » ! Mais en Allemagne, le choc est fort car une telle accélération de la crise européenne n’était pas attendue et les yeux étaient rivés sur l’Espagne, en espérant qu’elle tienne jusqu’aux élections de septembre prochain. « Plus de la moitié des Italiens ont voté pour une forme ou une autre de populisme, c’est un refus puéril de reconnaître la réalité » commente Die Welt, tandis que José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, exprime sa conception de la démocratie : « La question que l’on doit se poser est la suivante : doit-on déterminer notre politique économique en fonction de considérations électoralistes de court terme, ou en fonction de ce qu’il faut faire, pour remettre l’Europe sur le chemin de la croissance soutenable ? Pour moi, la réponse est claire. »
Le modus operandi italien n’avait pas été anticipé, exprimant dans les urnes un rejet qui jusqu’à maintenant restait dans les têtes ou au pire dans la rue. Avec des gouvernements s’en faisant le relais, les marchés avaient l’initiative incontestée, plongeant les uns après les autres les pays dans le désastre ; un énorme sursaut est intervenu.
Gagner du temps était le maître-mot, tenir lui succède, mais en attendant quoi ? La réaction du commissaire européen Olli Rehn, qui a rappelé l’Italie à respecter ses engagements, montre à quel point règne l’aveuglement, ceux qui y sont sujets étant prisonniers de leur stratégie. C’est que la marche est trop haute pour revenir sur le choix initial du G20 de Toronto de juin 2010, quand la décision a été prise de réduire brutalement la voile des déficits publics !