Billet invité
Familiers de la montée en puissance mondiale des BRICS, nous le sommes moins de celle des Next eleven ou N-11 (Les onze suivants). Et encore moins du Top 25 des 25 RGM (pour Rapid-Growth Markets, marchés à croissance rapide). Et pourtant, le club formé par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud est devenu trop étroit pour rendre compte de l’émergence de nouvelles puissances économiques. L’Indonésie, la Turquie, le Mexique, le Nigeria ou la Corée du sud connaissent eux aussi une forte croissance économique et sont parmi les Next eleven. Et, dans la dernière liste des pays promis à un bel avenir, celle des 25 RGM, figurent le Chili, la Pologne, le Qatar, etc.
Les classements d’hier sont complètement dépassés : qui parle encore des pays sous-développés, plus noblement dénommés en voie de développement ? En leur sein, il a fallu distinguer les nouveaux pays industrialisés, devenus entre temps émergents, que l’on devrait désormais qualifier d’émergés. Quant aux pays développés ou industrialisés, ils sont parfois ironiquement traités d’immergeants…
Classer, c’est se réserver le meilleur, comme pour les hôpitaux, les lycées et les universités, etc. Ces visions du monde ne sont pas innocentes, vu leurs auteurs. L’acronyme BRICS est une invention en 2001 de Jim O’Neill, de Goldman Sachs, la banque d’affaires où a été ensuite lancé en 2005 avec moins de succès médiatique le concept des Next eleven, tandis que la paternité des 25 RGM (on dirait un indice boursier) est à attribuer à Ernest&Young. À l’origine, ces grilles de lecture de l’économie mondiale sont issues des salles de marché, la formalisation marketing des recommandations des gérants d’actifs à leurs clients investisseurs : dans un monde d’incertitudes, il faut donner des points de repère et proposer des opportunités afin de diversifier les portefeuilles et trouver de la croissance.
Au-delà de l’effet de séduction recherché, qu’ont donc en commun ces assemblages hétéroclites de pays ? Un fort taux de croissance et une population nombreuse et jeune, à l’inverse de pays développés. Par comparaison avec États-Unis et la Chine, où la moyenne d’âge est de 39 et 35 ans respectivement, celle des Philippins est de 23 ans ! Selon la banque HSBC, trois milliards de personnes – définies comme ayant des revenus annuels entre 3.000 et 15.000 dollars – rejoindront d’ici 2050 les classes moyennes, futurs réservoirs massifs de consommateurs. De quoi alimenter les rêves les plus fous !
Quelles pistes sont fournies aux investisseurs ? Que ces pays doivent prioritairement développer leurs infrastructures – à la manière d’une collectivité qui viabilise un terrain pour attirer des industriels – donnant une idée des marchés qui s’ouvrent et des entreprises qui vont pouvoir dans un premier temps s’y installer. Pour impressionner, l’argumentaire fait aussi miroiter le développement fulgurant de la téléphonie mobile et la perspective de la bancarisation des populations qui découle de l’implantation de ces terminaux, expression de la croissance de classes moyennes et instrument de l’essor de leur consommation. Car là où les banques passent, le crédit à la consommation l’accompagne ! Rassurons-nous, c’est bien le schéma de relance de la machine à produire du crédit qui est en vue…
Identifier les nouveaux gisements d’affaires, c’est retrouver des marges de manœuvre pour compenser celles qui sont perdues ailleurs. Que reste-t-il comme perspective, une fois constaté que la croissance des émergents ne relance pas comme espéré celle des développés – comme si l’économie occidentale avait simplement besoin d’une poussette dans le dos – si l’on ne veut pas envisager pour commencer un grand rééquilibrage provenant d’une réforme du système monétaire international ? Celle de recommencer comme avant ailleurs sur la planète, comme si de rien n’était, puisque la machine financière se joue des frontières, et que celle de la production en fait autant. Tant qu’il y aura de la réserve foncière, tout ira bien.
Il est vrai que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes : la production est localisée là où les salaires sont les plus faibles, et les profits là ou les impôts sont les plus bas ! Pourquoi ne pas continuer?