Billet invité.
Plus que tout autre pays européen, l’Italie illustre au mieux la métaphore de l’arbre qui cache la forêt, en ces temps d’accalmie. Le Trésor italien multiplie les émissions obligataires, afin de profiter de la détente sur les taux. Il est déjà parvenu à financer 10% de ses besoins de l’année (420 milliards d’euros) et s’efforce d’allonger la maturité de sa dette pour la rendre moins vulnérable à des tensions ultérieures, car elle atteint désormais 126% du PIB. Mario Monti, tout à sa campagne électorale, en tire argument pour estimer que le pire de la crise financière est passée, reconnaissant que ce n’est pas le cas de la crise économique. Tout est là !
L’économie italienne témoigne en effet d’une lente et irrésistible dégradation, dans le contexte européen récessif actuel et sous les effets des mesures d’austérité prises par Mario Monti. Atteindre les objectifs de réduction du déficit va d’ailleurs impliquer d’en adopter de nouvelles, car 9 milliards d’euros manquent à l’appel du budget dès cette année. Depuis avril 2008, la production industrielle a chuté de 24,9% et une contraction de 3,4% du crédit a été enregistrée de novembre 2011 à 2012, affectant plus particulièrement les entreprises. Le pouvoir d’achat des Italiens a diminué de 4,1% durant les 9 premiers mois de 2012 (comparé à la même période en 2011), puis de 1,9% pour les seuls trois derniers mois, en raison de l’augmentation des impôts et taxes. Le taux du chômage devrait atteindre 12% en 2014, selon la Banque d’Italie. Certes, la situation sociale de l’Italie n’est pas celle de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, mais elle le doit à l’importance de son économie informelle, qui fait matelas.
La parole est aux dirigeants politiques, en attendant qu’elle soit donnée aux électeurs fin février prochain. Tandis que la campagne de Silvio Berlusconi monte en puissance, récusant les mesures d’austérité et préconisant l’intervention de la BCE pour garantir la dette européenne, celle de Mario Monti diabolise la perspective d’un plan de sauvetage et propose un programme de réformes mettant l’accent sur les mesures de privatisation et de libéralisation, assorties d’une flexibilité accrue du marché du travail, plus prudent sur les mesures de rigueur. Le programme de Pier Luigi Bersani, le candidat de centre-gauche qui mène la course en tête, s’inscrit dans le cadre d’une grande négociation qui échangerait pouvoirs accrus à l’échelle européenne et abandons de souveraineté contre une diminution de l’austérité et l’adoption de mesures contre-cycliques de relance. Un étroit chemin est tracé, fait de la poursuite des réformes de l’État et de négociations entre les syndicats et les chefs d’entreprises, en faveur d’une croissance modérée financée par la Banque européenne d’investissement, afin de s’appuyer sur le marché intérieur. Mais il faut être deux pour danser le tango, suivant la vieille expression, et convaincre le partenaire allemand…
La recomposition du paysage politique italien se poursuit, mais elle n’offre pas pour autant de solution aux problèmes du pays. L’avènement d’un gouvernement de centre-gauche, qui pourrait signer sous une forme ou sous une autre un pacte avec Mario Monti, est espéré par les milieux d’affaires italiens et les autorités européennes. Mais il ne crée pas de grandes marges de manœuvre car il va se heurter à la nécessité d’une dévaluation intérieure à laquelle il va vite falloir se résigner. De ce point de vue, le gouvernement issu des élections devra faire face à une situation similaire à celle du gouvernement français, conduit à prendre des mesures contraires aux inclinations de son électorat.
La durée que va prendre le désendettement est une question qui dépasse le sort de l’Italie et de l’Europe. Sa progression est soumise à d’inévitables accidents de parcours et dépend de la réalisation d’un excédent budgétaire primaire, à moins d’accepter que les bilans des banques centrales continuent à enfler démesurément, ou bien de s’engager dans une politique de restructuration de la dette. Cet excédent fiscal est en passe de devenir l’indice permettant de suivre au mieux la crise, dont la fragile existence est soumise aux effets négatifs de la récession engendrée par les mesures d’austérité. En dix ans, la dette mondiale publique et privée est passée de 80 à 200.000 milliards de dollars, ce qui représente une croissance de 11% annuelle, nettement plus élevée que celle du PIB mondial, qui est actuellement de 70.000 milliards de dollars. Les bilans des banques centrales ont pour leur part augmenté de 16% durant la même période, selon Hayman Capital, un hedge fund américain qui s’est rendu célèbre pour avoir parié avec succès sur l’effondrement du marché des subprimes (*). Il ne faut pas chercher plus loin pour comprendre que le système, devenu une machine à produire de la dette, a été trop loin. Et que prendre la question sous le seul angle de la dette publique est une mauvaise plaisanterie. L’Italie ne fera pas exception et représente toujours la plus dangereuse épée de Damoclès suspendue au dessus de la zone euro.
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(*) À l’aide de CDS (Credit-Default Swaps) « nus » (sans réelle exposition au risque) portant sur les titres adossés à des prêts subprimes de la pire qualité.
Une réponse sur “L'actualité de demain : L'ARBRE QUI CACHE LA FORÊT, par François Leclerc”
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