Billet invité.
Ce n’est aujourd’hui qu’une petite musique mais elle est insistante : ici, des livres sont échangés, ou des vélos et des ordinateurs récupérés et retapés, là des jouets et vêtements pour enfants sont remis à neuf; des boutiques de produits de « seconde main » s’ouvrent et des circuits courts de produits alimentaires se développent, le covoiturage progresse lentement, tandis que la colocation s’impose.
Une économie naissante de la débrouille et du partage est en train de se développer, à la rencontre de la rigueur des temps, mais aussi du besoin de s’affranchir de l’hyperconsommation, et de créer du « lien social » comme disent les sociologues. Disparues à la ville, d’anciennes solidarités campagnardes réapparaissent ; aux structures familiales disloquées se substituent le voisinage ou le relationnel des réseaux sociaux. La politique sous ses formes traditionnelles et la protestation ne font plus recette, le passage à l’acte s’impose, modeste et sans autre prétention que de vivre dans l’être et non plus dans l’avoir. Puisque changer cette société semble hors de portée, autant en modifier collectivement les règles là où l’on vit.
Toujours à l’affût de l’évolution des modes de consommation, les spécialistes du marketing n’ont pas attendu pour agir. Les « produits blancs » sont d’abord apparus dans la grande distribution, les vols « low cost » se sont ensuite imposés, et les voitures à bas prix destinées aux marchés émergents ont trouvé une clientèle inattendue en occident, en dépit des freins des industriels qui ne voulaient pas « cannibaliser » leur milieu de gamme. Aujourd’hui, la location est tendance – après le Vélolib, c’est au tour d’Autolib – tandis que des municipalités s’interrogent sur la gratuité du transport public local. Il y a dans l’air du temps l’expression de besoins d’un genre nouveau.
C’est Internet et le développement des freeware (les logiciels gratuits) qui ont bousculé ces stratégies marketing, aboutissant à irrévocablement sortir une bonne partie de la musique enregistrée de la sphère marchande et à rendre incontournable la notion incongrue de gratuité dans des domaines étendus, tout en étant simultanément le puissant vecteur du commerce électronique.
Hier simples, les modèles économiques se sont diversifiés, et les structures tarifaires se sont complexifiées, parfois à l’extrême. Les techniques de maximalisation du chiffre d’affaires ont trouvé leur apogée avec le yield management qui permet de faire payer un même service à des prix différents (par exemple des sièges d’avion). Non sans créer le sentiment d’être piégé, à la merci de subtilités tarifaires dont la transparence n’est pas la caractéristique principale.
La réflexion sur les modèles économiques n’est pas le propre des stratèges de la société de consommation. En Afrique du Sud, afin de rendre accessible une ressource vitale comme l’eau, certaines tarifications dans des townships reposent sur la gratuité d’un cubage mensuel donné (de nature à satisfaire les besoins de base d’une famille), le coût du mètre cube supplémentaire s’élevant au fur et à mesure du niveau de la consommation. Plus globalement, il est préconisé par certains l’attribution à toutes et à tous d’un « salaire à vie » destiné à la satisfaction des besoins élémentaires, qui déconnecterait le revenu du travail dans une société où il devient un élément de rareté… Autre référence iconoclaste, la référence à la notion de « bien commun » qui désigne une ressource échappant à la propriété individuelle et au secteur marchand, comme par exemple l’air que nous respirons. La liste des biens communs ne demande qu’à être développée, l’information est l’un des prétendants, vu le rôle majeur qui lui est attribué.
Concourt marginalement encore à la modification des modes de consommation l’apparition dans les pays émergents d’une multitude de produits industriels, dont la conception ne repose pas sur une obsolescence programmée mais sur la possibilité de les produire et de les vendre à bas prix. C’est particulièrement sensible dans le domaine informatique, avec la multiplication des ordinateurs à destination des scolaires, ainsi que des téléphones mobiles qui peuvent les remplacer pour de nombreux services. Ces produits sont de qualité et fonctionnels et rien n’empêcherait – si ce n’est la stratégie des industriels – d’en faire bénéficier les marchés des pays développés.
Ces tendances de l’évolution des modes de consommation reflètent des évolutions profondes, plus significatives que l’analyse des scrutins électoraux. Théorisées sous le terme d’économie collaborative, elles sont aujourd’hui la concrétisation de ce qui était hier appelé autogestion.
Puisqu’il ne sera bientôt plus possible de le faire, je vous remercie pour tout le travail accompli au cours de ces années, pour votre « millier » de billets. Je n’en manque pas un même si je n’ai pas été un commentateur régulier. Merci également d’avoir pris le temps de me répondre lorsqu’un point me paraissait obscur. J’espère vous lire encore longtemps.
Encore un très bon billet.
Un de plus!
Merci François.